C’est l’une des plus vieilles maladies du monde – les premières descriptions ont été réalisées à l’issue d’autopsies au XVIIe siècle –, mais aussi la plus fréquente des maladies rhumatologiques : environ 9 à 10 millions de Français en souffrent, soit 17 % de la population, et c’est le premier motif de consultation en Europe chez les plus de 60 ans. Or, l’arthrose est souvent douloureuse et entraîne une perte de mobilité qui peut se révéler invalidante : sept personnes sur dix considèrent qu’elle a un réel impact sur leur activité professionnelle (47 % des malades arthrosiques ont moins de 60 ans et sont donc le plus souvent encore actifs) et 44,2 % la jugent responsable d’une augmentation de leur fatigue (1).
A quoi cette maladie est-elle due et pourquoi fait-elle souffrir ? L’arthrose, qui peut concerner toutes les articulations, mais surtout les doigts – notamment les pouces –, les genoux (gonarthrose), les hanches et la colonne vertébrale, est caractérisée par la dégradation, puis la destruction progressive du cartilage qui recouvre l’extrémité des os.
Une maladie du cartilage, mais pas seulement…
« Ce n’est pas une maladie du cartilage seul, mais de toute l’articulation, précise le professeur Pascal Richette, professeur en rhumatologie à l’AP-HP Lariboisière (2), à Paris. Nous savons aujourd’hui qu’elle n’est pas simplement liée à l’usure, au sens où l’arthrose ne survient pas de manière inéluctable avec le temps. Quand on regarde une articulation arthrosique de façon macroscopique, à la radio ou en IRM, on voit que c’est une pathologie qui touche le cartilage, mais aussi l’os sous-chondral, situé sous le cartilage, et le tissu tapissant l’intérieur des articulations, la membrane synoviale. Ces trois tissus sont capables de se “parler”, de s’envoyer des médiateurs qui influent les uns sur les autres. Toute la question est de savoir lequel est le premier touché. La membrane synoviale va épurer les fragments de cartilage dégradés, ce qui va déclencher une inflammation, puis éventuellement une synovite. C’est la raison pour laquelle, dans une arthrose du genou, celui-ci peut gonfler et faire mal la nuit. » La fonction du cartilage est de permettre aux os de s’articuler entre eux avec un coefficient
de friction extrêmement faible. Quand il y a un défaut sur ce cartilage, les contraintes qui s’appliquent sur l’os sous-jacent sont complètement différentes : l’os va envoyer au cartilage un stress mécanique important, ce qui participera vraisemblablement à sa dégradation.
De multiples facteurs de risque
Les facteurs favorisants de l’arthrose ont été assez bien identifiés : âge, hérédité, surpoids, sédentarité, traumatismes articulaires, activités professionnelles ou sportives sollicitant les articulations de manière très importante… Il y a aussi des risques hormonaux : la carence en œstrogènes en est un, ce qui explique pourquoi on observe fréquemment des poussées d’arthrose à la ménopause. Chez les personnes obèses, le risque de développer une arthrose du genou et de la main est accru en raison de facteurs sanguins, également : « Nous avons compris que, dans le sang de ces patients, se trouvaient des éléments toxiques pour le cartilage, et en particulier des taux d’adipokines [protéines sécrétées par le tissu adipeux, NDLR] nocifs pour le cartilage », explique le professeur Richette. Certaines personnes ont par ailleurs une légère prédisposition à « faire » de l’arthrose, parce que leur cartilage est de moins bonne qualité, ce qui, associé par exemple à une obésité, va favoriser l’apparition de la maladie.
Quel est le poids respectif de tous ces facteurs de risque ? « Le plus important, c’est la sénescence, répond le professeur Richette. Quand vous laissez du jambon traîner sur le plan de travail de la cuisine, il noircit, il caramélise : c’est le processus dit de glycation, que l’on observe aussi dans le cartilage âgé. Celui-ci devient plus dur, moins souple, et ses capacités à absorber les chocs, à transmettre moins de stress mécanique sur l’os sous-chondral sont altérées. » Résultat : 65 % de la population est touchée après 65 ans et 80 % au-delà de 80 ans. Quant à la fréquence de la maladie, elle varie en fonction de sa localisation : chez les 65-75 ans, c’est l’arthrose de la colonne vertébrale qui est la plus courante (70 à 75 % sont touchés) ; puis vient celle des doigts (60 %), l’arthrose du genou et celle de la hanche concernant respectivement 30 % et 10 % des personnes de cette tranche d’âge (3).
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Les traitements médicamenteux
Les lésions du cartilage ne régressent pas et leur évolution n’est pas linéaire, il est donc bien difficile de prévoir l’évolution de la maladie. Elle peut être très rapide et très douloureuse ou beaucoup plus lente et ne pas entraîner de handicap majeur. On constate cependant une évolution en deux phases : l’une, chronique, au cours de laquelle la douleur est modérée et la gêne variable ; et l’autre, dite de crise, où l’articulation peut être très douloureuse.
Quoi qu’il en soit, neuf personnes atteintes sur dix déclarent être en quête de solutions pour « soulager [leurs] douleurs », et deux sur trois pour améliorer leur mobilité. De quel arsenal thérapeutique la médecine dispose-t-elle ? « Il n’existe pas actuellement de traitement capable de freiner de façon importante la dégradation du cartilage, souligne le professeur Richette. Les médicaments disponibles, qu’ils soient administrés par voie orale ou par injections, sont essentiellement symptomatiques. La prise en charge repose donc avant tout sur la douleur et sur l’amélioration du handicap fonctionnel, notamment en ce qui concerne les articulations de la main, du genou et de la hanche. »
▶ Les médicaments par voie orale. Les antalgiques, comme le paracétamol, sont les premiers prescrits par le médecin, qui pourra aussi recourir aux anti-inflammatoires, mais ces derniers ne doivent être pris qu’en période aiguë (ils peuvent en effet être toxiques pour l’estomac, alors que les antalgiques le sont moins).
▶ Les infiltrations. Si les douleurs sont trop fortes, le médecin peut proposer, principalement pour l’arthrose du genou, d’injecter un médicament – corticoïdes ou acide hyaluronique – directement dans les articulations touchées. L’infiltration de corticoïdes est indiquée quand les traitements antalgiques et anti-inflammatoires n’ont pas réussi à soulager une poussée inflammatoire ou en cas de contre-indication à ces médicaments. Agissant sur la douleur et le gonflement en quelques jours, voire en quelques heures, elle permet souvent d’obtenir un bon résultat à court terme et son effet se prolonge de quelques jours à un ou deux mois. Il est toutefois recommandé de limiter le nombre d’injections à trois par an et par articulation, car si les trois premières n’ont pas eu un effet suffisant, il est peu probable qu’une quatrième se montre efficace… L’injection d’acide hyaluronique est quant à elle recommandée en cas d’articulation non enflammée. En lubrifiant celle-ci, elle permet de soulager les douleurs et de repousser éventuellement une opération.
Le recours à la chirurgie
Lorsque les douleurs ne sont plus calmées par les traitements médicamenteux, une intervention chirurgicale peut être envisagée, afin de remplacer l’articulation défectueuse par une prothèse. Une technique qui concerne le plus souvent le genou et la hanche, mais qui est également possible pour l’épaule. L’intervention n’est pas anodine : elle dure entre cinquante minutes et deux heures, exige au préalable un bilan clinique et radiologique complet et est obligatoirement suivie par une rééducation et par un contrôle régulier chez le médecin traitant ou le rhumatologue. Cela dit, la pose d’une prothèse se révèle souvent efficace : elle supprime 80 à 95 % des douleurs et améliore nettement la mobilité.
Chaque année, environ 60 000 prothèses de genou sont mises en place, principalement à cause de l’arthrose, et ce chiffre pourrait atteindre 450 000 en 2030 si d’ici là les traitements n’ont pas progressé.
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Les solutions complémentaires
D’autres solutions ont montré leur efficacité pour soulager la douleur – elles ne ralentissent pas l’évolution de la maladie – et peuvent donc être utilisées parallèlement aux médicaments. « Aucune donnée scientifique ne démontre, par exemple, l’intérêt de l’homéopathie ou de la nutrition, précise le professeur Richette, mais ces prises en charge n’ont pas d’effets secondaires, alors… »
▶ Les compléments alimentaires. « Certaines études montrent que les compléments à base de chondroïtine sulfate ou de glucosamine fonctionnent un peu, poursuit le professeur. Il faut être pragmatique : si cela permet au patient d’éviter la prise d’anti-inflammatoires, je n’ai pas de raison de m’y opposer. Dans une maladie pour laquelle il n’existe pas une pharmacopée énorme, il faut les essayer. » Votre pharmacien habituel saura vous conseiller.
▶ La phytothérapie. Il existe des plantes à l’action anti-inflammatoire, qui permettent de limiter la prise de médicaments. La première, connue depuis environ quatre siècles, c’est le cassis ; la seconde, d’utilisation plus récente en Europe, l’harpagophytum. Les bourgeons et les feuilles du cassis contiennent des polyphénols (antioxydants) et plus particulièrement des flavonoïdes, aux propriétés anti-inflammatoires. Les feuilles ont également une action diurétique majeure, qui favorise l’élimination des déchets. La plante peut aussi être utilisée en teinture mère, à raison de cent gouttes à prendre une ou deux fois par jour en cas de douleurs. L’harpagophytum se trouve quant à lui le plus souvent sous forme de gélules ou d’ampoules. Ajoutons la prêle, riche en éléments minéraux (surtout en silice et en calcium) et reconnue pour ses effets reminéralisants sur les articulations. Attention, les plantes ne sont pas sans danger (demandez conseil à votre pharmacien). L’harpagophytum est notamment contre-indiqué en cas d’ulcère gastrique.
▶ L’homéopathie. La rhumatologie est l’un des domaines où les patients ont le plus souvent recours aux méthodes alternatives, et en particulier à l’homéopathie, pour réduire leurs douleurs chroniques. Une étude menée en 1993 a d’ailleurs évalué l’efficacité d’un traitement homéopathique, Rhus toxicodendron, dans l’arthrose du genou et de la hanche et l’a trouvé plus efficace que le placebo. « Il existe un très grand nombre de remèdes d’homéopathie pour les douleurs rhumatismales, auxquelles appartiennent les processus dégénératifs arthrosiques, explique le docteur Luu, docteur en pharmacie, sciences naturelles et sciences biologiques. Certains sont plus spécifiques de l’os, d’autres davantage en rapport avec la synoviale, les ligaments ou les muscles, d’autres encore concernent le tissu nerveux et seront mieux adaptés au processus névralgique. »
Il est donc indispensable de consulter un médecin homéopathe : « Celui-ci va tenir compte du terrain du malade, de ses antécédents pathologiques, de ses réactions…, pour trouver le ou les remèdes à prescrire. » Les traitements homéopathiques sont en effet personnalisés, et ce qui fonctionne chez l’un sera peut-être inefficace chez un autre.
▶ La nutrition. Renforcer les articulations passe par l’amélioration des défenses antioxydantes et la lutte contre l’inflammation. Il convient d’adopter une alimentation saine, pauvre en toxines et surtout en acide urique – le principal responsable des douleurs articulaires –, mais riche en calcium, l’un des principaux constituants du squelette. Ce n’est pas si compliqué : par exemple, 100 grammes de chou chinois équivaut, côté calcium, à un verre de lait, les antioxydants en plus ! Une autre source de calcium biodisponible, moins connue, nous est conseillée par le docteur Luu : « Faites dissoudre de la coquille d’œuf avec sa membrane dans un mélange de jus de citron et de vinaigre de cidre. Une fois filtré et conservé au réfrigérateur, ce liquide apporte un calcium directement utilisable par l’organisme. » Enfin, les légumes (en particulier le chou) et les fruits (tous les fruits rouges, le kiwi, la datte) apportent des antioxydants, et les poissons gras (sardine, thon, saumon, maquereau), les noix et les graines de lin, des oméga 3.
▶ Le sport. Il est très important de garder une activité physique régulière et, si le sport n’est pas conseillé pendant les périodes douloureuses, il ne faut pas que le repos soit trop prolongé, car l’articulation a besoin d’être régulièrement mobilisée. Les spécialistes conseillent d’éviter les sports traumatisants, mais de pratiquer un exercice physique modéré (marche, randonnée, vélo ou natation, par exemple), à raison de vingt-cinq à trente minutes trois fois par semaine. Dès la moindre douleur et si celle-ci augmente durant votre activité, il est temps d’arrêter !
▶ La kinésithérapie.
Elle peut éviter que l’articulation ne s’enraidisse et permet de retrouver une certaine souplesse lorsque celle‑ci est déjà raide, mais aussi de conserver ou de renforcer les muscles (sans eux, les articulations ne peuvent pas bouger). Elle corrige également les mauvaises postures, soulage l’articulation et agit ainsi contre la douleur.
▶ La cure thermale. C’est un moment privilégié pour s’occuper de soi et de ses articulations, mais aussi pour acquérir de bonnes habitudes (exercice, diététique…). Certaines stations sont spécialisées dans les troubles rhumatismaux et l’arthrose. Les soins, assez semblables à ceux pratiqués en thalassothérapie : hydromassages, marche en piscine, aquagym…, sont le plus souvent associés à de la kinésithérapie.
▶ Semelles et orthèses. Les aides techniques se révèlent souvent utiles pour soulager le travail des articulations. En présence d’une gonarthrose, par exemple, les semelles orthopédiques, en amortissant les chocs et en réduisant les contraintes sur le cartilage, peuvent avoir un effet bénéfique contre les douleurs au genou. Elles se révèlent particulièrement efficaces lorsque l’arthrose touche l’intérieur de l’articulation : en modifiant l’axe de la jambe, elles soulagent cette zone des contraintes exercées pendant la marche. Quant aux orthèses, ces appareils qui soutiennent l’articulation et l’immobilisent afin de corriger une déviation, elles sont de trois types : l’orthèse simple, comme la genouillère élastique ; l’orthèse dynamique, réservée au genou, qui en corrige la déviation ; et l’orthèse de repos ou d’immobilisation, le plus souvent utilisée pour l’arthrose des doigts.
Et la recherche ?
Que peuvent espérer les malades dans les années à venir ? Le professeur Richette se montre assez optimiste : « La recherche est très dynamique et aboutira très probablement à la mise au point de traitements qui freineront la dégradation du cartilage. Nous sommes dans une période où l’on essaie de comprendre comment tout cela fonctionne. Par exemple, si l’on bloquait telle ou telle protéine, cela pourrait-il
se révéler bénéfique pour le cartilage ? Des greffes de chondrocytes ont également été envisagées, mais les résultats ne semblent pas très concluants. » Peut-on espérer reconstituer du cartilage à l’aide de biomatériaux, afin d’obtenir un cartilage semi-artificiel ? Et en ce qui concerne les cellules souches, où en est-on ? En tout cas, les essais de thérapie cellulaire sur l’animal semblent prometteurs. « Il faut soutenir la recherche en faisant des dons (4), car il existe hélas un réel manque de subventions », conclut le professeur. Et il y a urgence : en 2030, l’arthrose pourrait toucher 22 % de la population française.