Autisme : Quelle prise en charge aujourd’hui en France

, par  Delphine Delarue

Manque de structures adaptées et d’informations, faible coordination entre les différents intervenants, discours contradictoires de professionnels, absence d’interlocuteur unique au sein du système de soins… En France, malgré trois plans Autisme successifs, la prise en charge de ce trouble reste défaillante, à mille lieues de ce que vivent et attendent les personnes concernées et leurs proches.

La prise en charge de l’autisme en France est un véritable parcours du combattant pour les familles et une catastrophe pour les personnes concernées, déplore Danièle Langloys, présidente de l’asso­ciation Autisme France. Malgré un troisième plan Autisme qui s’achève cette année, l’offre d’interventions sur le territoire n’est ni cohérente ni satisfaisante, alors que, chaque année, 6 000 à 8 000 bébés naissent autistes dans notre pays.  » Au total, en France, on estime que 600 000 à 650 000 personnes sont touchées par un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Longtemps considéré comme une maladie psychiatrique, l’autisme est désormais reconnu comme un trouble neuro-­développemental appartenant aux troubles envahissants de développement (TED). Une définition émise par l’­Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis plus de trente-cinq ans, mais qui n’a été que tardivement reprise par la Haute Autorité de santé (HAS) française, en 2010. D’où le considérable retard ­accumulé.
«  Chez le sujet autiste, le développement neurobiologique du cerveau s’est fait de manière atypique au cours de la vie intra-utérine, explique le docteur Geneviève Macé, fondatrice du centre expert autisme du Limousin. Le fonctionnement cérébral, et notamment le traitement des informations, est donc définitivement différent de celui des personnes neuro-typiques.  »

Aucun lien avec la relation mère-enfant

Ainsi, contrairement aux thèses anciennes, en particulier celles défendues par la psychanalyse, l’autisme n’a rien à voir avec une quelconque défaillance de la relation mère-enfant­­ ni avec un refus du monde. Selon la HAS, en l’état actuel des connaissances, il n’y a aucun lien non plus entre autisme infantile et maladie cœliaque résultant d’une intolérance au gluten, ni entre TED et vaccination combinée rougeole-oreillons-rubéole (ROR), deux autres hypothèses avancées plus récemment. En revanche, on sait que l’impact génétique est un facteur dominant. Les troubles envahissants du développement sont quatre fois plus fréquents chez les garçons et le risque de développer un autisme pour un nouvel enfant dans une fratrie dont l’un des membres souffre déjà d’un TED est relativement élevé (4 % si l’enfant déjà atteint est un garçon et 7 % si c’est une fille).
Autre particularité des TED : la grande diversité des tableaux cliniques, qui entraînent des situations de handicap très hétérogènes. On peut avoir un profil plus ou moins sévère et souffrir de pathologies associées (troubles du sommeil, épilepsie, anxiété, dépression, déficit de l’attention, retard mental). L’autisme se caractérise toujours par «  un développement altéré manifeste avant l’âge de 3 ans, avec une perturbation caractéristique du fonctionnement dans chacun des trois domaines suivants : interactions sociales réciproques, communication et comportement  », décrit la HAS, qui évoque un «  comportement à caractère restreint, répétitif et stéréotypé  ». Un jeune autiste est très souvent un enfant qui ne sollicite pas, qui ne capte pas et qui ne suit pas le regard de l’autre pour voir ce qu’il observe. Plus tard viennent les retards de langage et la difficulté à s’exprimer, à communiquer et à demander de l’aide. Un phénomène qui conduit à un profond mal-être et à une grande frustration. «  Petit, mon fils faisait souvent de très grosses colères, se souvient Alexia, maman de Driss, un jeune garçon autiste. Il hurlait, ne dormait pas et était incapable de rester assis sur une chaise. Rien ne l’intéressait à part empiler des boîtes de conserve pendant des heures.  »

L’approche psychanalytique

Si l’autisme ne se guérit pas, les spécialistes recommandent un programme ­d’intervention précoce, dans l’idéal avant 4 ans, afin d’améliorer le développement et l’autonomie des enfants. Et c’est là que le bât blesse. Deux approches s’opposent en France : ­l’approche psychanalytique, très controversée mais encore majoritaire, et l’approche éducative et comportementale, de plus en plus plébiscitée et défendue de longue date par les associations de parents, qui reprochent à la psychanalyse de les culpabiliser et de ne pas donner de résultats vraiment probants. «  Pour les psychanalystes, l’autisme est une psychose liée à une inter­action sociale défaillante entre la mère et l’enfant, observe Danièle Langloys. Or ce n’est absolument pas prouvé sur le plan scientifique ! Cela fait bien longtemps que cette thèse a été abandonnée partout dans le monde.  » Pourtant, d’après une enquête menée par le site Doctissimo, un patient français sur cinq bénéficie encore d’une prise en charge psychanalytique. Celle-ci, très répandue dans le monde de la pédopsychiatrie, de la psychiatrie et dans le service public (hôpitaux de jour, centres médico-psychologiques [CMP], centres médico-psycho-pédagogiques [CMPP]…), consiste essentiellement à faire parler le sujet ou à observer son comportement. Ici, l’enfant n’est pas trop sollicité, l’idée étant de ne pas augmenter ses blocages. On le laisse généralement dans ses comportements stéréotypés sans vraiment le stimuler et l’on interprète ses actions d’un point de vue analytique. Au grand dam des psychanalystes, cette approche a été contestée par la HAS en 2012. Dans les recommandations qu’elle émet alors sur la prise en charge de l’enfant et de l’adolescent autistes, elle ­préconise, pour la première fois, des interventions fondées sur les approches éducatives, comportementales et développementales et qualifie l’approche psychanalytique de «  non consensuelle  ».

L’approche comportementale, éducative et développementale

Venus des pays anglo-saxons, les programmes comportementaux (ABA, Teacch, Pecs, Denver…) se basent sur une évaluation complète de l’enfant, c’est-à-dire une analyse très fine de ses capacités psychomotrices, communicatives, sensorielles et de ses goûts personnels. Il s’agit de définir avec précision son niveau de développement pour construire un projet personnalisé d’interventions éducatives et comportementales pluridisciplinaires et intensives. Ces projets intègrent généralement des séances de psychomotricité et d’orthophonie fondées sur la psychologie développementale et la psychopédagogie. Ils utilisent aussi des «  renforçateurs  » : une fois qu’il a accompli une tâche, l’enfant est récompensé par quelque chose qu’il aime (une partie de console, un biscuit…). Au final, ces programmes ont pour objectif de renforcer les comportements adaptés du jeune autiste et d’éteindre les comportements inadaptés pour faciliter ses apprentissages, son épanouissement et son intégration scolaire (rappelons que la loi pour l’égalité des droits de 2005 proclame le droit à l’inclusion scolaire de tous les enfants en situation de handicap, or, aujourd’hui, une minorité des enfants autistes sont scolarisés).
«  Après deux années passées en hôpital de jour, Driss ne faisait aucun progrès, raconte Alexia. Selon l’équipe, il était atteint de dysharmonie évolutive, ce qui ne veut rien dire. On ne nous expliquait rien, je n’avais aucune réponse à mes questions. Et puis, Driss a enfin été diagnostiqué autiste au centre de ressources autisme (CRA) et nous avons donc décidé d’intégrer un Sessad (service d’éducation spéciale et de soins à domicile, NDLR) qui utilisait l’ABA. Depuis, notre fils a beaucoup progressé et nous sommes totalement intégrés à la prise en charge.  » Aujourd’hui, Driss est scolarisé en sixième à temps complet. Il sait lire, écrire et a de très bons résultats en maths. En parallèle, il poursuit son programme personnalisé au sein du Sessad.

Un parcours du combattant pour les familles

Attention cependant : les méthodes comportementales ne fonctionnent pas avec tous les enfants autistes (cela dépend de leur profil et de leur niveau intellectuel). Et même si les méthodes de ce type sont de plus en plus répandues en France, seules quelques structures sont financées par l’Etat. Le centre expert autisme du Limousin, modèle dans le diagnostic et l’éducation précoce, est ainsi victime de son succès : la liste d’attente est longue et les familles attendent des mois avant de pouvoir intégrer les programmes éducatifs.
On le voit, les objectifs du dernier plan Autisme, qui prévoyait un diagnostic précoce des enfants dès 18 mois, une orientation vers les interventions éducatives et comportementales, la formation des personnels et l’information des familles, sont loin d’être atteints. Selon les associations, rien n’a vraiment évolué. Dans un rapport récent, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) pointe notamment les faibles performances des CRA, censés mettre en œuvre le plan au niveau local. Des CRA débordés, marqués par «  des délais d’attente considérables dans les différentes phases du processus diagnostic, note l’Igas. Pour l’année 2014, le délai global entre la réception de la demande et la restitution du bilan dans les vingt-deux CRA est, en moyenne, de 419 jours  ». Soit près d’un an et demi d’attente. Des délais insupportables pour les familles, qui n’ont que deux solutions : se tourner vers la prise en charge classique, analytique, dispensée dans la plupart des hôpitaux publics, ou tenter d’intégrer des services proposant des approches développementales et éducatives, mais qui se trouvent souvent dans des structures privées.

Bouche à oreille

Ces familles, souvent épuisées, déplorent l’absence d’interlocuteur unique pour leurs démarches, les soutiens financiers insuffisants, la difficulté à trouver des informations et des professionnels correctement formés, ainsi que les discours contradictoires des différents intervenants. Finalement, pour s’orienter dans le parcours de soins, elles doivent compter sur le soutien précieux des associations locales de parents et sur le bouche à oreille. «  Il faut absolument améliorer la formation des professionnels de premier recours au diagnostic précoce et à l’orientation vers la prise en charge comportementale, souligne le docteur Macé. Aujourd’hui, le problème, c’est que la formation des médecins et des éducateurs reste dominée par la psychanalyse. Les familles se retrouvent face à des praticiens qui ignorent les programmes qui fonctionnent, ceux qui sont préconisés par la HAS.  »
Pour Danièle Langloys, le troisième plan Autisme a cependant le mérite d’avoir permis une prise de conscience : «  Malgré le poids de la psychanalyse dans notre pays, il y a aujourd’hui consensus pour dire qu’il faut développer l’intervention et le diagnostic précoces. Les choses avancent doucement : le gouvernement vient par exemple de lancer un site national d’information (Autisme.gouv.fr) pour fournir aux parents les renseignements de base. Ça va dans le bon sens.  » Et la présidente de conclure : «  Malheureusement, la route reste encore longue.  »

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