Le mal de tête, tout le monde connaît ou presque. Près d’une personne sur deux âgées de plus de 15 ans déclare en souffrir plus ou moins régulièrement. Le plus souvent, ces céphalées sont ponctuelles et ne durent pas très longtemps (deux heures ou moins chez 46 % des personnes concernées). Dans 20 % des cas, cependant, elles sont secondaires à une autre maladie comme une infection ORL, généralement un rhume, une grippe, voire une sinusite. Elles peuvent aussi être la conséquence d’une consommation excessive d’alcool, d’une grosse fatigue, d’une longue et interminable réunion ou encore être dues à de l’hypertension artérielle. Beaucoup plus rarement, un mal de tête peut, s’il est très brutal (en « coup de tonnerre »), être le signe d’un problème plus grave, tel qu’une hémorragie cérébrale, un AVC ou une tumeur. Mais dans la grande majorité des cas, il s’agira d’une simple céphalée primaire, c’est-à-dire d’une pathologie sans gravité. Cela ne l’empêchera pas d’être particulièrement désagréable, voire très douloureuse et handicapante, surtout si elle se répète fréquemment. Ces maux de tête, également qualifiés de « primitifs », regroupent deux formes principales : la céphalée de tension, la plus courante (environ 60 % des maux de tête), et la migraine, qui concernerait sept millions de Français. Souvent confondues par les patients, elles n’ont pourtant rien à voir et ne se traitent pas de la même façon.
La céphalée de tension : une douleur d’intensité légère à modérée
« La céphalée de tension se caractérise par une douleur en étau d’intensité légère à modérée, de localisation bilatérale, avec une durée allant de trente minutes à sept jours et qui s’améliore avec l’exercice physique, explique le docteur Dominique Valade, neurologue, ancien chef de service du centre d’urgences des céphalées de l’hôpital Lariboisière, à Paris. Contrairement à la migraine, il n’y a pas de nausées ni de vomissements. Les patients peuvent en revanche être gênés par le bruit ou la lumière. » A l’origine de la douleur : une contracture des muscles cervicaux, liée généralement à une mauvaise position (de travail sur écran, par exemple) et à un stress léger. La plupart du temps, la gêne est supportable et les patients ne consultent pas. Les médecins conseillent d’ailleurs de ne pas prendre de médicament, mais plutôt de bouger un peu et de faire des exercices de relaxation pour diminuer le stress et l’anxiété. Si la douleur persiste, on peut à la rigueur prendre un antalgique simple (paracétamol ou ibuprofène).
« Quand la céphalée de tension s’installe et que le patient souffre au moins quinze jours dans le mois, on entre alors dans la chronicité », poursuit le docteur Valade. C’est généralement dans ces cas-là que les patients se rendent chez le médecin. Ce dernier établira le diagnostic à partir de l’examen clinique et d’un interrogatoire précis.
Dysfonctionnement des circuits de la douleur
Avec la céphalée de tension chronique, on observe la même tension musculaire, à laquelle s’ajoutent probablement des éléments neurologiques. « Certains travaux de recherche montrent que les patients concernés présentent des systèmes de contrôle de la douleur qui ne fonctionnent pas très bien, note le docteur Michel Lantéri-Minet, neurologue, chef du département d’évaluation et de traitement de la douleur au CHU de Nice. Mais ça ne va pas plus loin, on ne connaît pas la cause de ce dysfonctionnement. Ce qui est sûr, c’est que, dans la céphalée de tension chronique, il y a aussi une grande sensibilité au stress du quotidien. »
Malheureusement, pour soulager les patients chroniques, « il existe peu de médicaments, regrette le neurologue. Très peu de produits sont validés, parce que la céphalée de tension chronique ne concerne que 2 à 3 % de la population et qu’elle intéresse peu l’industrie pharmaceutique ». Le médecin pourra tout de même mettre en place un traitement de fond à base d’antidépresseurs tricycliques comme l’amitriptyline (Laroxyl) ou d’antidépresseurs mixtes comme la venlafaxine (Effexor), utilisés à des doses relativement faibles et qui ne sont pas antidépressives. Les techniques psychocorporelles de type relaxation, méditation ou sophrologie ainsi que les thérapies cognitivo-comportementales de gestion du stress constituent également des approches intéressantes. « On peut aussi associer de la physiothérapie avec une kinésithérapie, indique le docteur Lantéri-Minet. L’idée, c’est d’améliorer les contractures, avec notamment un travail sur la posture. » Enfin, une bonne hygiène de vie, comprenant une alimentation équilibrée, une activité sportive et un sommeil régulier, peut aider le patient.
La migraine : une douleur pulsatile d’intensité modérée à sévère
Totalement différente, la migraine se distingue d’abord de la céphalée de tension sur le plan clinique. « C’est une douleur le plus souvent localisée sur la moitié de la tête, même si ce n’est pas systématique, décrit le docteur Anne Donnet, neurologue, chef du centre d’évaluation et de traitement de la douleur à l’hôpital de La Timone, à Marseille. La céphalée est pulsatile, d’intensité modérée à sévère, et le mal est aggravé par l’activité physique. Elle s’accompagne de nausées et de vomissements ou encore de photophobie et de sonophobie. » D’origine génétique, la migraine sévit par crises, d’une durée de quatre à soixante-douze heures. Celles-ci sont liées à l’activation du système trigémino-vasculaire, composé des nerfs trijumeaux qui innervent les méninges et les vaisseaux intracrâniens. Cette activation induit deux phénomènes responsables de la douleur : l’inflammation neuronale et la dilatation des vaisseaux au niveau des méninges.
Si tout le monde peut souffrir d’une migraine passagère, c’est la répétition des crises (au moins cinq) qui fait la maladie migraineuse. Cette répétition serait due à l’activité de régions profondes du cerveau génétiquement plus sensibles à certains facteurs environnementaux. « On peut citer par exemple le facteur émotionnel, précise le docteur Lantéri-Minet. Chez certains migraineux, les crises sont déclenchées par des émotions négatives, des contrariétés, des périodes de tension. Mais cela peut aussi être des émotions positives : la céphalée sera alors déclenchée par une grande joie, une bonne nouvelle… »
Le facteur déclenchant peut par ailleurs être d’origine physique, un surmenage par exemple. Après une grande semaine d’activité professionnelle, le relâchement du week-end peut suffire à provoquer une crise (c’est la migraine du week-end). Idem pour les changements de rythmes du sommeil, d’alimentation ou encore pour les variations hormonales chez la femme, avec la classique migraine au moment des règles. Enfin, certains patients sont particulièrement sensibles aux facteurs climatiques, et notamment aux variations de pression atmosphérique. On le voit, le dénominateur commun, c’est le changement d’état. Finalement, « les facteurs déclenchants de la migraine, ça peut être tout et n’importe quoi, constate le docteur Valade. Il y a autant de facteurs déclenchants qu’il y a de migraineux. »
Maladie neurologique
Comme pour la céphalée de tension, c’est l’examen clinique et l’interrogatoire qui permettent de diagnostiquer la maladie migraineuse. « En cas de doute sur une autre étiologie, le seul examen complémentaire que l’on peut pratiquer est l’IRM, affirme le docteur Lantéri-Minet. Toutes les autres explorations, comme la radio du cou, des sinus, des dents ou le bilan ophtalmologique, ne servent à rien. La migraine est une maladie neurologique liée à une vulnérabilité génétique, avec ses traitements spécifiques. » Une fois le diagnostic posé, le médecin pourra prescrire deux grandes familles de médicaments pour soulager la crise : certains vasoconstricteurs comme les triptans, qui ont une très bonne efficacité, ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Quand la fréquence des crises devient trop importante (à partir de six à huit jours de céphalée migraineuse par mois) et handicapante, un traitement de fond sera mis en place avec des bêtabloquants (metroprolol ou propranolol), des antiépileptiques (topiramate-Epitomax) ou des antisérotoninergiques (pizotifène-Sanmigran ou oxétorone-Norcetone). Parfois, les neurologues prescrivent des antidépresseurs tricycliques ou mixtes ou encore des antihypertenseurs comme les sartans. Ici, il s’agit de prescriptions de seconde intention (hors AMM). Il faut savoir que la mise en place du traitement demande du temps et que plusieurs essais sont souvent nécessaires avant de trouver la meilleure formule.
Concernant l’hygiène de vie générale, on conseille aux migraineux de respecter des rythmes réguliers de sommeil, d’alimentation et d’activité sportive, sans toutefois trop chercher à se focaliser sur ce qui déclenche la crise. « Il faut être prudent avec la problématique du contrôle des facteurs déclenchant les crises migraineuses chez l’adulte, remarque le docteur Lantéri-Minet. L’altération de la qualité de vie est aussi liée à la mise en place de conduites d’évitement particulièrement contraignantes. Trop focaliser l’attention des migraineux sur les facteurs déclenchants peut renforcer l’évitement. Néanmoins, les analyser peut se révéler utile dans certains cas. Je pense par exemple à la personne trop investie professionnellement pendant la semaine et qui va faire une migraine le week-end. On pourra l’aider à se désinvestir un peu de son travail et lui apprendre à se détendre avec des méthodes de relaxation. Le traitement de la migraine, c’est vraiment du cas par cas. »
Abus médicamenteux
Parfois, la recherche des facteurs déclenchants permettra aussi de révéler un abus de médicaments. Ceux qui souffrent de céphalée chronique peuvent en effet avoir tendance à prendre trop de médicaments de crise, ce qui contribue à entretenir la douleur dans une sorte de cercle vicieux. « La recommandation que l’on donne à tous nos patients, que ce soit pour la migraine ou pour la céphalée de tension, c’est de ne pas dépasser deux jours de traitement de crise par semaine », souligne le docteur Anne Donnet. Et si un abus médicamenteux est constaté, il faudra débuter un sevrage progressif parallèlement au traitement de fond.
L’intérêt à consulter dès que la douleur se répète et devient trop difficilement supportable est donc loin d’être négligeable. Les professionnels conseillent d’ailleurs à leurs patients de tenir un agenda dans lequel ils notent les jours de crises, les événements particuliers qui ont précédé celles-ci, leur intensité et leur durée, ainsi que les traitements pris. Autant d’éléments qui aideront le médecin à poser le bon diagnostic et à trouver rapidement le traitement correspondant le mieux à son patient. ●