En 2008*, la France comptait 8,3 millions d’aidants et, en 2015**, ils étaient 11 millions à déclarer apporter une « aide régulière et bénévole à une ou plusieurs personnes ». Derrière les chiffres se cachent des situations très différentes : ces personnes peuvent accompagner un parent âgé, un enfant handicapé ou encore un conjoint malade. La Confédération des organisations familiales de l’Union européenne donne une définition vaste du terme « aidant » : « L’aidant familial ou l’aidant de fait est la personne qui vient en aide à titre non professionnel, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide régulière peut être prodiguée de façon permanente ou non. [Elle] peut prendre plusieurs formes. » Plus d’un aidant sur deux est une femme (56 %) et, si 55 % sont âgés de 50 ans ou plus, 9 % ont entre 15 à 24 ans seulement. La plupart (87 %) aident un membre de leur famille – l’un de leurs parents pour près de la moitié.
Chef d’orchestre du quotidien
« L’aidant peut apporter un soutien moral, réaliser des activités domestiques, aider à se déplacer, suivre les formalités administratives et accompagner les soins, explique Claudie Kulak, fondatrice de l’association La Compagnie des aidants et elle même aidante. C’est un peu le chef d’orchestre du quotidien. Il doit tout gérer, y compris son propre stress, voire sa culpabilité s’il n’est pas aussi disponible qu’il le voudrait ou s’il n’arrive pas à obtenir ce qu’il souhaite. L’aidant perd aussi beaucoup de temps à rechercher des informations, à trouver les bons interlocuteurs. » Pour être lui même accompagné, il peut se tourner vers les associations. « Les personnes qui viennent à notre rencontre le font pour plusieurs raisons, observe Florence Leduc, présidente de l’Association française des aidants. Elles peuvent chercher des renseignements et nous demander conseil pour obtenir une aide de l’Etat ou un congé, trouver un professionnel de santé ou une aide à domicile. Dans ce cas, nous les orientons vers des lieux ressources et leur donnons les numéros utiles ou les sites à consulter. D’autres viennent pour échanger. Certains ont besoin de se raconter, d’expliquer leur situation et parfois même d’être confortés dans leurs décisions. » Au delà des difficultés, la solidarité est une valeur partagée. « J’ai plaisir à aider l’autre, assure Claudie Kulak, d’autant que l’on crée ainsi une relation forte, dans laquelle on peut trouver le bonheur. » Patricia Sire, aidante et bénévole de l’association Avec nos proches, confirme : « Aider permet de partager des bons moments et de s’ouvrir à l’autre. »
Aidant et salarié
Les diverses tâches réalisées par les aidants demandent du temps, beaucoup de temps. Si 62 % d’entre eux y consacrent moins de dix heures par semaine, 21 % passent tout de même vingt heures ou plus avec leur proche. Quand on sait que 53 % des aidants ont une activité professionnelle, on comprend que l’emploi du temps de ces personnes est particulièrement chargé. Anne Jouhet, chargée des partenariats de La Compagnie des aidants,a soutenu ses parents malades et âgés : « En activité professionnelle, je faisais des allers retours chaque week end pour aller voir mes parents, qui vivaient à 350 kilomètres de chez moi, raconte t elle. Je n’avais que ce moment là pour organiser le reste de leur semaine entre les visites des services à la personne, le suivi médical et les formalités administratives. Il faut savoir qu’en moyenne, en France, 226 kilomètres séparent l’aidant de son proche. Ces déplacements incessants ont un impact sur la vie de famille, mais aussi sur la vie professionnelle, puisqu’il faut parfois se rendre disponible pendant les horaires de bureau pour pouvoir joindre tel ou tel service qui n’est pas ouvert le week end. Les soucis s’accumulent, tout comme la fatigue, et on peut vite être dépassé. » Pour le sociologue Serge Guérin, professeur à l ’Inseec Paris, où il dirige le master « Directeur des établissements de santé », « les entreprises doivent porter le changement. Elles sont de plus en plus confrontées à la problématique des aidants salariés. Des initiatives commencent à poindre, mais une prise de conscience des enjeux de la part de l’entreprise et des partenaires sociaux est nécessaire pour avancer ».
Epuisement physique et mental
Isolement, fatigue, manque de temps… : la santé des aidants est fragile et constitue rarement une priorité. « En consultation, [ils] se mettent souvent en retrait, constate Philippe Marissal, médecin généraliste rural et créateur d’une maison de santé et d’un pôle de santé. Oser interpeller n’est pas toujours facile, mais, à la campagne, le médecin traitant est souvent un interlocuteur privilégié. C’est celui qui connaît le mieux l’aidant comme l’aidé. » Aider un proche a bien un impact sur la santé. Pour preuve, 30 % des aidants meurent avant leur proche atteint de la maladie d’Alzheimer. En cause : l’épuisement physique et mental. Le plan Alzheimer 2008 2012 prévoyait pourtant une consultation dédiée aux aidants de patients atteints d’alzheimer ou d’une maladie apparentée. « Malheureusement, [cette consultation] est rarement réalisée, soit par méconnaissance, soit par non adhésion de l’aidant ou encore parce que le médecin manque de temps », constate Sylvie Bonin Guillaume, professeur en gériatrie à la faculté de Marseille et membre de la Société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG). Le docteur Marissal regrette que « ce dispositif [soit] peu connu des médecins eux mêmes et ne concerne que les proches qui viennent en aide à une personne atteinte d’une pathologie en particulier. Il faudrait mettre en place une prise en charge médico sociale plus globale ».
Un repos nécessaire
Pour préserver leur santé et mieux se ressourcer, les aidants ont parfois besoin de s’accorder un temps de répit, de sortir du quotidien. Ils peuvent pour cela compter sur les associations, les agences de voyages et les organismes spécialisés. Plusieurs formules existent pour prendre des vacances, avec son proche ou séparément, mais toujours dans un cadre adapté. Le label « Tourisme et handicap » signale, par exemple, les hébergements, les restaurants, les bases de loisirs et les établissements culturels et touristiques en mesure de recevoir des personnes handicapées. Les accueils de jour dans les hôpitaux, les établissements pour personnes handicapées, les institutions spécialisées, les lieux réservés à l’accueil des personnes âgées ou encore les hébergements temporaires permettent aussi de souffler. Ces différentes options ne constituent toutefois pas des solutions à long terme pour soulager l’aidant.
Une première reconnaissance
Heureusement, la législation française évolue peu à peu, grâce à la mobilisation des différents acteurs qui ont mis la thématique des aidants sur le devant de la scène. La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, promulguée à la n 2015, prévoit la reconnaissance du statut de « proche aidant », ainsi que la création d’un « droit au répit » offrant la possibilité aux aidants qui accompagnent une personne en grande perte d’autonomie de prendre un peu de repos en finançant l’ accueil de celle ci par une structure adaptée à ses besoins. Une aide annuelle, qui pourra atteindre 500 euros, voire plus en cas de nécessité passagère ou d’hospitalisation de l’aidant, permettra de bénéficier ponctuellement d’un renforcement de l’aide à domicile, d’un accueil de jour ou d’un hébergement temporaire. « Ces mesures, que l’on peut juger insuffisantes, constituent un premier pas, une reconnaissance de fait pour les aidants, qui ont longtemps été les invisibles du “care”, note le sociologue Serge Guérin. Depuis quelques années, on observe une prise de conscience de l’importance du phénomène des aidants. Des initiatives voient le jour. Certaines collectivités mettent en place des “maisons des aidants” pour accueillir, informer ou offrir un peu de répit. Des grandes entreprises adhèrent, par exemple, à la plateforme Responsage (Responsage.com), un service de conseil pour les salariés aidants de proches âgés. Mais il faut maintenant donner un sens à ces différents projets et fédérer les initiatives. » Pour la présidente de l’Association française des aidants, des progrès restent aussi à faire dans le discours autour des aidants : « Les considérer comme des “héros” ne suffit pas. Le terme d’aidant recoupe des situations très différentes, plus ou moins difficiles, dont nous devons parler. En tant qu’association, notre message doit être fort et faire remonter les réalités de terrain. Nous devons poursuivre nos actions et avoir un oeil attentif sur les nouvelles situations et les oubliés du système. En n, un travail de réflexion avec tous les acteurs de la société autour des problématiques liées à l’allongement de la durée de vie doit être mené, sans oublier de donner la parole aux aidants. » « L’enjeu, aujourd’hui, est de faire en sorte que les questions autour des aidants restent dans l’agenda présidentiel », conclut Serge Guérin.