Parce que mauvaise estime de soi, sexisme, violences, stéréotypes sont souvent le fait d’une méconnaissance du corps et des besoins de l’autre, tous les enfants devraient pouvoir être informés sur l’amour et la sexualité. Alors, comment surmonter la gêne et les tabous, afin d’apporter ces connaissances essentielles au bon développement de l’enfant ? Peur de choquer, gêne, pudeur… Les raisons d’éluder les questions portant sur la sexualité sont diverses, d’autant que beaucoup d’adultes n’ont pas eux-mêmes reçu d’éducation affective et sexuelle. Ils se sentent maladroits et ne savent pas comment aborder ce sujet avec leurs enfants. Même si dans ce domaine également, l’école doit apporter un socle de connaissances élémentaires, il est important de pouvoir en parler librement à la maison. Comme le constate Maëlle Challan-Belval, conseillère conjugale et auteure de l’ouvrage Osez en parler ! (lire l’encadré En savoir plus), « les parents sont intimidés par le sujet de l’éducation affective et sexuelle. Mais je les sais convaincus qu’elle est un rendez-vous nécessaire, une formation utile à la croissance de leurs enfants. Ils voient leur progéniture plongée dans un monde où tout parle de sexe : publicités, magazines, émissions de radio, romans, affiches, films, tutoriels, musique populaire, jeux vidéo, sites pornographiques… Les parents mesurent que ce silence est ambigu et que se taire, c’est laisser dire (les autres). » « Les parents ont une mission de passeurs », insiste-t-elle.
Une histoire à transmettre
Dès l’âge de 3-5 ans, l’enfant commence à s’interroger et les réponses que ses parents lui apportent sont primordiales dans sa construction. Il faut bien sûr répondre à ses attentes, mais sans pour autant devancer ses questions. Chaque enfant est différent et sa curiosité sur le sexe peut être plus ou moins précoce. Si aucune question n’est taboue, les réponses n’ont pas besoin d’être « techniques ». Il ne s’agit pas, à cet âge, de donner un cours sur la sexualité, mais plutôt de lui montrer que ce sont des sujets dont on peut parler librement, sans peur d’être jugé. Derrière la question : « comment on fait les bébés ? », ce qu’il veut surtout savoir, c’est « pourquoi suis-je là ? », « où étais-je avant ? ». Il n’est donc pas nécessaire, à ce stade, d’entrer dans les détails. « Les parents doivent rester discrets sur ce qui relève de leur vie intime », conseille Maëlle Challan-Belval. Ce qui compte, c’est que l’enfant se sente en confiance et libre de poser toute question concernant le corps et la vie intime, sans honte. Plus tard, entre 6 et 8 ans, les questions deviennent plus précises et plus pragmatiques. Ce peut être « C’est quoi les règles ? » ou « Pourquoi le sexe des garçons grossit ? ». Les parents n’ont pas toujours toutes les réponses, mais là encore, l’important est de rester ouvert au dialogue et de montrer que l’on ne porte aucun jugement, que toutes ses questions sont intéressantes et qu’elles méritent une réponse. Concernant les adolescents, Maëlle Challan-Belval préconise d’éviter les questions frontales, qui peuvent mettre mal à l’aise le jeune. La puberté est une période qui génère un grand nombre de questions, portant notamment sur la normalité. C’est la raison pour laquelle il est surtout important de rassurer et d’instaurer un climat de confiance propice au dialogue.
Employer les mots justes
Si chez le petit enfant, il n’est pas utile d’expliquer précisément en quoi consiste l’acte sexuel pour parler de la conception d’un bébé. Mieux vaut insister sur la dimension affective et amoureuse. En revanche, il est important de nommer les choses, de parler de vulve, de vagin, de pénis plutôt que de « foufounette », « kiki », ou autre « zézette ». « Les enfants et les jeunes ont besoin de mots précis et de définitions adaptées à leurs âges sur le corps, la vie, la sexualité, indique Maëlle Challan-Belval. La nature a horreur du vide : si nous ne nommons pas le corps, la vie amoureuse, la sexualité, d’autres le feront, probablement avec des mots inadéquats, approximatifs ou vulgaires. Le sexe des filles en particulier, semble "innommable". Bien souvent, dans les classes, les jeunes filles n’ont pas de mot pour le désigner. » Savoir nommer les parties de son corps et notamment les organes génitaux peut aussi aider l’enfant à mieux se faire comprendre des adultes, à les questionner, par exemple, sur certaines pratiques d’ordre sexuel ou à leur faire part de soucis intimes.
Trouver les mots est aussi parfois difficile quand il s’agit de mettre en garde son enfant contre d’éventuels dangers. Comment parler d’abus sexuel en utilisant des mots simples ? Peut-on vraiment le protéger en l’informant ? « Il n’y a malheureusement pas de vaccin contre la pédophilie, regrette Maëlle Challan-Belval. Il faut bien sûr lui apprendre le respect de son corps mais le jeune enfant est un être fragile et dépendant. Il fait confiance à son entourage. Or, les actes pédophiles sont souvent commis par des proches. Surtout, l’enfant ne doit pas avoir honte et se sentir suffisamment en confiance pour pouvoir se confier si quelque chose lui paraît anormal. »
Quand la pornographie s’invite dans les cours d’école
Vers 9-11 ans, la sexualité devient une préoccupation plus présente. Elle peut aussi faire irruption de manière brutale dans la vie de l’enfant. Alors que la majorité des parents pensent que leur bambin évolue encore dans un univers préservé, ce dernier peut en effet être exposé à des images à caractère sexuel de multiples façons, par le biais de la télévision, d’Internet, de magazines ou de BD. Dans son ouvrage, À un clic du pire, l’ancienne actrice de films X, Ovidie, décrit comment les « tubes », ces plateformes gratuites de diffusion de vidéos pornographiques ont facilité l’accès des plus jeunes à ce type de contenus. Normalement réservée aux adultes, la pornographie est maintenant à la portée des mineurs, sans limite, simplement via leur Smartphone. « La découverte de la première vidéo pornographique se fait désormais avant le collège », révèle l’actrice. En effet, 9 ans est aujourd’hui l’âge moyen du premier visionnage d’une vidéo pornographique. « Confrontés à ces images, ils ne savent pas trop quoi en faire, témoigne Maëlle Challan-Belval, qui recueille la parole des jeunes dans les établissements scolaires. Ils se disent que s’ils en parlent à leurs parents, ces derniers vont leur confisquer leur téléphone portable. » Lors de ses interventions dans le cadre de séances d’éducation à la sexualité, elle les invite à réfléchir, les questionne : « Pourquoi ce type d’images est interdit aux mineurs ? Quels sentiments provoquent-elles : excitation, dégoût ? ». Ces vidéos peuvent fasciner certains enfants, voire entraîner une véritable addiction. En conséquence, « leur imaginaire est complètement lié à la pornographie et ils sont très déçus après, observe-t-elle. Leurs repères sont très floutés. Ils peuvent penser que ces vidéos, qui sont faites d’abord pour la masturbation, pourraient être des sortes de tutoriels à imiter. » L’autre danger de la pornographie chez les jeunes, selon cette spécialiste, est qu’elle « agit comme un rouleau compresseur, qui ratiboise leur imaginaire sexuel, annihile leur créativité intérieure lorsqu’ils ne savent pas que c’est une fiction ». La pornographie et les réseaux sociaux ne doivent donc en aucun cas tenir lieu « d’éducateurs à la sexualité », d’autant que ces derniers contribuent à la diffusion d’informations erronées.
Lutter contre les idées fausses
Etre informé de façon sérieuse sur la sexualité est une mesure élémentaire de santé publique. Les infections sexuellement transmissibles (IST), le VIH-sida, les grossesses précoces non désirées peuvent ainsi être prévenues. Mais une éducation sexuelle de qualité permet aussi de lutter contre les violences sexuelles, a rappelé Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, en septembre 2018, lors de la publication d’une circulaire visant à faire appliquer la loi de 2001 préconisant des cours d’éducation sexuelle dès l’école primaire. Cette déclaration a suscité un véritable tollé et la diffusion d’un grand nombre de fake news sur les réseaux sociaux. Les rumeurs les plus folles ont couru à ce sujet, incitant certains parents à retirer leurs enfants de l’école. Des vidéos partagées des milliers de fois sur Internet annonçaient en effet que la masturbation allait être enseignée aux élèves de maternelle, par exemple, ou que des ouvrages pornographiques allaient leur être montrés. Ladite circulaire sur l’éducation sexuelle, parue le 12 septembre 2018, faisait en réalité d’abord état de ce que disait la loi, à savoir : « Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène […] ». Il n’y est aucunement question d’un enseignement à l’école maternelle, ni d’éducation explicite à la sexualité. Dans le cadre de l’école élémentaire, qui concerne donc les classes du CP au CM2, la circulaire indiquait : « Au regard des programmes d’enseignement, plusieurs thématiques peuvent constituer un objet d’étude, en prenant en compte l’âge des élèves : l’étude et le respect du corps ; le respect de soi et des autres ; la notion d’intimité et de respect de la vie privée ; le droit à la sécurité et à la protection ; les différences morphologiques (homme, femme, garçon, fille) ; la description et l’identification des changements du corps, particulièrement au moment de la puberté ; la reproduction des êtres vivants ; l’égalité entre les filles et les garçons ; la prévention des violences sexistes et sexuelles. »
S’épanouir dans le respect de l’autre
Quant à l’enseignement au collège et au lycée, la circulaire liste les thèmes susceptibles d’être abordés : « Liberté, responsabilité et respect face aux choix personnels (réseaux sociaux, Internet, cyberharcèlement, pornographie, etc.), valeurs et normes, impact des stéréotypes et rôles sexués, prévention des violences sexistes et sexuelles, égalité filles-garçons, contraception, prévention des grossesses précoces non désirées, IST et VIH-sida, orientations sexuelles, respect de son corps et de celui de l’autre, etc. » Une éducation sexuelle et affective réussie permet de devenir un adulte épanoui et respectueux des autres. Le Haut Conseil à l’égalité (HCE) souligne dans son rapport relatif à l’éducation à la sexualité que cette dernière est « un enjeu majeur de l’émancipation des individus, elle constitue également un levier essentiel de l’égalité entre les femmes et les hommes et entre les sexualités. Or, l’éducation à la sexualité n’a pas toujours été conçue comme telle et a souvent été cantonnée à une approche moralisatrice et sanitaire ».