L’asthme au quotidien

, par  Delphine Delarue

L’asthme, qui concerne environ 4 millions de personnes en France, est en constante progression à travers le monde. Si l’on connaît mal les causes profondes de cette affection respiratoire chronique, des traitements efficaces, une prise en charge adaptée et l’aménagement du quotidien permettent aujourd’hui aux malades de mener une vie quasiment normale. A condition toutefois d’être correctement diagnostiqués, bien orientés et d’avoir bénéficié d’une éducation thérapeutique solide dispensée par des professionnels de santé.

« J’ai passé trente ans de ma vie sans vraiment m’occuper de ma maladie. Même si je soignais les crises, je ne prenais pas de traitement de fond. Et puis, l’année dernière, j’ai dû être hospitalisé en soins intensifs. J’ai frôlé l’arrêt cardio-respiratoire. » Comme 4 millions de Français et environ 10 % des enfants scolarisés, Jamal, 55 ans, souffre d’asthme. Cette maladie inflammatoire chronique des voies respiratoires, dont le nombre de cas a doublé ces dix dernières années dans le monde, est loin d’être anodine : chaque année en France, elle est encore responsable d’un millier de décès chez les moins de 65 ans et d’environ 600 000 journées d’hospitalisation.
Si les causes profondes de l’asthme n’ont pas encore été élucidées, on sait qu’il s’agit d’« une affection à caractère génétique liée à l’environnement, explique le docteur Anne Prud’homme, pneumologue au centre hospitalier de Bigorre, à Tarbes (Hautes-Pyrénées). Dans une très large majorité des cas, il y a une origine allergique. Ainsi, lorsque le père ou la mère d’un bébé est asthmatique allergique, ce dernier aura 45 à 50 % de risques de développer la même maladie ». C’est la rencontre de ce terrain dit atopique (allergique) avec l’allergène (le plus souvent les acariens, les animaux domestiques, les pollens ou les moisissures) qui déclenche la crise d’asthme. La muqueuse bronchique s’enflamme, s’épaissit et produit du mucus, qui encombre les voies aériennes. Les anneaux musculaires situés autour des bronches se contractent, cela induit un rétrécissement bronchique important et un sifflement : l’air a du mal à passer, le malade a l’impression de respirer à travers une paille. « C’est très impressionnant, confie Jamal. A ce moment-là, on a beaucoup de mal à inspirer et surtout à expirer. On a vite fait de paniquer. »

Hyperréactivité bronchique

« Ce qui caractérise la personne asthmatique, c’est l’existence d’une hyperréactivité bronchique, c’est-à-dire une sensibilité exacerbée des bronches aux irritants respiratoires, précise le docteur Yves Magar, pneumologue allergologue à l’hôpital Saint-Joseph, à Paris. Sur ce terrain, de nombreux facteurs comme les allergies, mais aussi une infection virale, une intolérance médicamenteuse, l’exercice physique, les irritants, le froid ou encore l’humidité sont susceptibles de déclencher une crise. »
Enfin, la progression spectaculaire de la maladie ces dernières années, et notamment de l’asthme allergique, serait liée à notre mode de vie moderne. « Il existe une théorie hygiéniste, qui stipule que l’excès d’hygiène et d’antibiotiques dans la petite enfance a favorisé l’essor des maladies allergiques, auto-immunes, inflammatoires », poursuit le docteur Magar. L’élimination du monde bactérien censé participer à l’éducation de notre système immunitaire fait que ce dernier devient plus fragile et développe des réactions anormales, comme l’asthme, quand il rencontre une substance étrangère. « On pense aussi que la pollution contribue à l’augmentation du nombre de cas. Par ailleurs, on sait aujourd’hui que l’obésité est un facteur de risque pour l’asthme. »

Un diagnostic théoriquement simple

Lorsque l’on suspecte un asthme, il ne faut pas hésiter à consulter son médecin généraliste. « Le diagnostic est relativement simple et en premier lieu basé sur la description des symptômes par le patient, assure le pneumologue. L’asthmatique présente généralement des épisodes d’essoufflement aigu de façon spontanée, typiquement la nuit ou au petit matin. Ces épisodes peuvent être provoqués par des facteurs extérieurs, comme le contact avec un allergène ou l’exercice physique. Ce phénomène est réversible : entre les crises, le sujet peut très bien avoir une fonction respiratoire tout à fait normale. » L’interrogatoire du médecin est donc essentiel et suffit la plupart du temps à établir le diagnostic. Pour confirmer celui-ci, le malade peut passer ce que l’on appelle des épreuves fonctionnelles respiratoires (EFR, ou spirométrie) chez le pneumologue : en mesurant le souffle avant et après la prise d’un broncho­dilatateur, ce EFR, qui évaluent le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS, volume d’air qu’une personne est capable d’expirer en une seconde), permettent d’objectiver le syndrome obstructif des bronches.
« Parfois, l’asthme se manifeste de façon moins typique. La personne ne présente pas de gêne respiratoire particulière, mais plutôt une toux chronique, signale le docteur Magar. Ces patients sont plus difficiles à diagnostiquer. Leurs EFR peuvent être normales. On recherche alors des signes d’hyperréactivité bronchique : c’est elle qui va signer de façon définitive la présence de l’asthme. » Pour cela, on fait respirer à la personne une substance capable d’entraîner un spasme bronchique uniquement chez les asthmatiques. En médecine générale, les asthmatiques « tousseurs » sont rarement diagnos­tiqués, leur toux est soignée au coup par coup et la maladie n’est pas vraiment prise en charge. Un tel symptôme, qui dure et se répète, doit donc conduire à consulter un pneumologue sans tarder.

Un traitement à vie

Une fois le diagnostic établi, on recherche un éventuel allergène par des tests (tests cutanés, prise de sang), et le pneumologue évalue parallèlement le degré de l’asthme, à la fois par les résultats des tests respiratoires et par la fréquence des symptômes. Si l’asthme est intermittent (moins d’un épisode symptomatique par semaine et des EFR normales), un simple traitement à la demande, avec un bronchodilatateur de courte durée d’action (Ventoline ou Bricanyl, par exemple), suffira. Ces médicaments agissent contre le rétrécissement des bronches et leur permettent de se dilater. Le patient prend ­généralement une bouffée lorsqu’il sent une crise arriver, quand il sait qu’il sera confronté à un allergène auquel il est ­sensible ou avant un effort physique s’il présente un asthme provoqué par l’exercice. En revanche, en cas d’asthme persistant (plusieurs épisodes par semaine, voire par jour ou la nuit et des EFR normales à pathologiques), un traitement de fond quotidien s’impose, associant généralement des corticoïdes (anti-inflammatoires) inhalés et un bronchodilatateur de longue durée d’action. La posologie précise est déterminée par le médecin en fonction de la sévérité de la maladie.
Dans tous les cas, le patient doit avoir en permanence sur lui un bronchodilatateur de courte durée d’action pour traiter la crise aiguë. Chaque année, il devra subir de nouvelles EFR et faire un bilan chez le pneumologue pour adapter le traitement en cas d’évolution ou de régression de sa maladie. Enfin, des médicaments sous forme de comprimés (corticoïdes ou antibiotiques, selon les cas) existent aussi pour traiter les épisodes d’exacerbation dites attaques d’asthme, généralement déclenchées par des virus ou des bactéries à l’automne et pendant l’hiver.

La mauvaise observance en question

« Les traitements disponibles pour contrôler l’asthme se décident au cas par cas et permettent aujourd’hui d’équilibrer la maladie même pour les atteintes sévères, constate Aurore Lamouroux, docteur en psychologie, responsable de l’école de l’asthme de Marseille. Le patient peut alors vivre tout à fait normalement, faire du sport, ne plus avoir de crise, ne plus être ­hospitalisé, ne plus être obligé d’aller aux urgences. Seulement, de nombreuses personnes ne suivent pas leur traitement correctement. » Selon une étude récente menée par IMS Health France et le Cercle de réflexion de l’industrie pharmaceutique (Crip), seules 13 % des personnes asthmatiques sont « observantes ». La raison ? « Une grande méfiance vis-à-vis des corticoïdes inhalés, répond le docteur Magar. Les patients assimilent ce traitement local à la cortisone en comprimés, qui, si on la prend pendant longtemps, peut effectivement induire certains effets indésirables comme une prise de poids, un ralentissement de la croissance chez l’enfant et une fonte musculaire. Mais ce n’est pas le cas avec les corticoïdes inhalés aux doses que l’on prescrit dans l’asthme. Tout au plus peuvent-ils entraîner des effets locaux comme une voix rauque ou une mycose buccale, que l’on prévient par un rinçage de la bouche après chaque prise. »
Il faut savoir qu’un asthme non traité s’aggrave : les crises se multiplient et deviennent plus intenses, jusqu’à conduire le patient à l’hôpital. « Ces épisodes sévères peuvent mettre le ­pronostic vital en jeu. Sur le long et le moyen terme, l’absence de traitement n’est pas sans conséquence : cela risque de mener à une altération irrémédiable des fonctions ­respiratoires. »
Pour d’autres malades, enfin, le défaut d’observance est surtout lié à un manque d’éducation thérapeutique. Selon une étude américaine, neuf asthmatiques sur dix utiliseraient mal leur inhalateur. Or la technique d’inhalation est un point fondamental. Si elle n’est pas enseignée correctement, le patient peut difficilement s’en sortir. « Et souvent, faute de temps, le médecin généraliste et le pharmacien n’expliquent pas vraiment comment utiliser correctement les bronchodilatateurs, confie Aurore Lamouroux. J’ai vu des gens qui n’enlevaient même pas le capuchon de leur spray ou qui ne vidaient pas leurs poumons avant d’inspirer ! »

Apprendre à vivre avec sa maladie

Si la bonne observance des traitements est essentielle au contrôle de la maladie, le patient doit aussi apprendre à bien ­surveiller son souffle et à repérer les symptômes qui annoncent une crise. « Tout cela ne va pas de soi, souligne Aurore Lamouroux. La personne se sent souvent seule et démunie. C’est la raison pour laquelle nous encourageons les médecins à nous adresser leurs patients. Dans les écoles de l’asthme (il en existe plus d’une centaine en France, NDLR), des professionnels sont formés pour apprendre aux malades comment vivre avec leur maladie. » Au sein de ces structures, des pneumologues, des psychologues, des conseillers médicaux en environnement intérieur (CMEI) et des enseignants en activité physique adaptée aident les patients à acquérir des savoirs immédiatement applicables dans la vie de tous les jours. Cela a été le cas pour Jamal, qui se rend régulièrement à l’école de l’asthme de Marseille depuis un an : « A présent, quand je me sens un peu fatigué, si j’ai des difficultés à respirer, à me déplacer, à monter les étages, je sais que ça peut être le signe d’une crise imminente. Alors, je prends mon peak flow (débitmètre, NDLR) pour mesurer mon souffle. A partir des résultats, je sais si je dois ou non mettre en place le protocole spécifique défini avec l’équipe de l’école. » Grâce à des ateliers interactifs, les patients apprennent aussi à éviter les facteurs déclenchants ou aggravants et à aménager leur intérieur. « En cas d’allergie aux acariens, par exemple, on conseille d’utiliser des housses de lit anti-acariens agréées, de bien aérer les logements et d’éviter la moquette, explique la psychologue. Pour les allergies aux pollens, on recommande, en période de pollinisation, de secouer son manteau à l’extérieur de la maison et de bien se laver les cheveux. Nous orientons aussi ceux qui souhaitent arrêter de fumer : le tabac est un facteur aggravant, qui réduit l’efficacité des médicaments. »
Autre aspect de la prise en charge mise en œuvre dans ces écoles : la dimension psychologique. Parce que la crise d’asthme peut être causée par l’angoisse, le patient doit apprendre à gérer ses émotions et à accepter sa maladie. A Marseille, par exemple, les malades suivent des ateliers de shiatsu axés sur la gestion du stress. Avec la psychologue ou en séance collective, ils ont la possibilité de parler de leurs craintes et de leurs difficultés, d’échanger leurs expériences et de se soutenir mutuellement. L’idée est de dédramatiser, d’apprendre à mieux se connaître par rapport à la maladie et de reprendre confiance en soi. « Ici, on n’est pas dans quelque chose de vertical, où le médecin serait l’expert qui dispense son savoir, note Aurore Lamouroux. On est dans un apprentissage qui se fait par le dialogue et l’expérimentation. » Et ça marche : plusieurs études ont démontré que les asthmatiques ayant bénéficié de séances d’éducation thérapeutique équilibrent mieux leur maladie. Les autorités de santé incitent donc les professionnels à mettre en place ce type de structure. « Malheureusement, l’enseignement thérapeutique est encore trop souvent dispensé par des professionnels bénévoles (elle est gratuite pour les patients, NDLR), déplore la psychologue. Les écoles sont mises en place par les associations, les hôpitaux, les réseaux de soins… Elles sont en petite partie financées par les agences régionales de santé, mais sans aucune prise en charge de la part de l’Assurance maladie. » Bien que la prévention soit officiellement mise en avant dans les programmes de santé publique, le financement de l’éducation thérapeutique n’est donc pas encore à l’ordre du jour. Au grand dam des associations de patients et des professionnels qui y travaillent.

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