Obésité des jeunes : une croissance lourde de conséquences

, par  Isabelle Delaleu

En France comme dans de nombreux pays industrialisés, l’excès de poids se généralise, et de plus en plus d’enfants et de jeunes sont en surpoids ou obèses. Un inquiétant problème de santé publique, contre lequel il importe de lutter sur plusieurs fronts.

En 1980, seuls 5% des enfants présentaient un excès pondéral. Ils étaient 12 % en 1996, 16 % en l’an 2000… et 18 % en 2011, dont 4 % d’obèses. S’ils semblent enfin se stabiliser (c’était l’un des objectifs du Programme national nutrition santé), ces chiffres demeurent pour le moins préoccupants, car surpoids et obésité n’ont rien d’anodin : ils interfèrent fortement sur la santé présente et future du jeune, ainsi que sur son psychisme et, parfois, sur sa scolarité, menant dans certains cas à l’isolement ou au décrochage scolaire. De lourdes conséquences qui nécessitent une réaction rapide, mais tout en douceur, dès le diagnostic, pour ne pas laisser le surpoids s’installer définitivement.

Une prise de poids signe de déséquilibre

Véritable maladie chronique, l’obésité est le résultat d’un déséquilibre de la « balance énergétique », c’est-à-dire entre les apports et les dépenses d’énergie. Une alimentation trop riche (excès de sucres et de graisses, grignotage…) est donc en première ligne, tout comme le manque d’activité physique, et notamment le temps passé devant la télévision ou les jeux vidéo, qui est clairement associé à une prise de poids. Entrent également en compte, dans les facteurs associés à ce déséquilibre, le patrimoine génétique et l’hérédité (obésité d’un ou des deux parents, surpoids de la mère pendant la grossesse, diabète gestationnel), l’histoire familiale et psychologique du jeune, son entourage et la société dans laquelle il vit. Parfois, mais beaucoup plus rarement, sont impliqués des facteurs biologiques (comme des troubles de la thyroïde, un déficit en hormone de croissance ou un excès de cortisol) ou neurologiques (troubles des mécanismes de la faim et de la satiété, par exemple), l’exposition à certains polluants ou virus ou encore des traitements médicamenteux (obésité iatrogène consécutive à la prise de corticoïdes ou d’antiépileptiques).
Toutefois, s’il existe bel et bien une susceptibilité génétique à l’obésité, l’influence des habitudes alimentaires familiales et de l’attention que l’on porte ou non à l’équilibre des repas joue un rôle central. L’obésité touche d’ailleurs majoritairement les milieux sociaux les plus défavorisés, chez qui l’aspect santé de l’alimentation ne fait pas partie des priorités du quotidien. La nourriture a alors plus pour rôle de faire plaisir, voire de consoler, et d’être fortement énergétique, au détriment de l’équilibre et de la variété, et peut en cela devenir « à risque ».

Des enfants sous influence

Si des apports énergétiques trop élevés favorisent la prise de poids, le manque d’activité est lui aussi en cause, à une époque où les loisirs favoris des enfants se déroulent devant des écrans (plus de deux heures et dix minutes de télévision par jour en moyenne) : il est établi par plusieurs études que les jeunes en surpoids ou obèses passent plus de temps devant la télévision que ceux dont le poids est « normal » (lire l’encadré). Nul doute que, parallèlement au manque d’exercice (on ne se dépense pas devant un écran), l’influence de la publicité, qui vante en continu les plaisirs de boissons ou d’aliments sucrés et gras à très haute densité énergétique pendant les heures de programmes pour la jeunesse, ne peut être que délétère. Ce matraquage n’est en effet pas sans conséquences sur les habitudes du petit-déjeuner, du goûter et du grignotage, dont sont souvent absents les fruits au profit de produits industriels transformés. D’ailleurs, l’association de consommateurs UFC-Que choisir a constaté, lors d’une étude, que 76 % des aliments apportés à l’école par les enfants étaient trop riches en sucres ou en matières grasses. Quand on sait que, depuis octobre 2013, c’est au Centre d’études et de documentation du sucre (Cedus), véritable outil marketing, qu’a été confiée l’information nutritionnelle des enfants à l’école, il y a lieu de s’inquiéter.

De vrais risques pour la santé

Sans prise en charge adaptée, l’obésité ne fait que s’accentuer, et un enfant gros ou obèse risque fort de le rester à l’âge adulte, avec d’importants retentissements sur sa santé, menant même à une surmortalité d’origine principalement cardiovasculaire. Dans les faits, les répercussions physiques sont nombreuses : hypertension artérielle (HTA), excès de triglycérides et de cholestérol, mais aussi hyper-insulinémie pouvant mener au diabète de type 2 (dont les chiffres explosent en France, notamment). Ce dernier, une pathologie grave, incurable et liée à un épuisement progressif du pancréas, est de plus en plus fréquent chez les jeunes, alors que pendant longtemps il ne survenait que vers la quarantaine. Repérée aux Etats-Unis il y a quelques mois seulement, la plus jeune malade diabétique jamais dépistée et répertoriée n’avait ainsi que 3 ans et pesait le double du poids normal d’une enfant de son âge. Certains enfants souffrent également de troubles physiques, qui vont de l’essoufflement à la réduction de la mobilité en passant par des troubles du sommeil. Le surpoids est en outre impliqué dans la survenue d’une puberté précoce (avant 8 ans pour les filles et avant 9 ans pour les garçons), qui non seulement mène à un arrêt préjudiciable de la croissance, mais aussi prédispose, à l’âge adulte, à des maladies comme les cancers hormono-dépendants.

Dépister et réagir

Le suivi régulier de la corpulence afin de dépister au plus tôt le risque de surpoids ou d’obésité est indispensable : selon la Haute Autorité de santé (HAS), cette surveillance systématique doit être effectuée au minimum deux ou trois fois par an chez l’enfant et l’adolescent, quels que soient son âge, sa corpulence apparente et le motif de sa consultation. Comme pour les adultes, on utilise l’indice de masse corporelle (IMC), calculé en fonction de la taille et du poids. Jusqu’à 18 ans, contrairement aux adultes, celui-ci ne doit pas correspondre à des chiffes précis, mais être comparé à une courbe de corpulence de référence (différente pour les garçons et les filles), que l’on retrouve dans tous les carnets de santé. De plus, les médecins surveillent ce que l’on nomme le « rebond d’adiposité », une remontée naturelle de la courbe de l’IMC qui survient normalement vers 6 ans, mais dont la précocité (avant 5-6 ans, parfois vers 2-3 ans) est un marqueur prédictif efficace d’obésité. Ces deux outils, fiables et d’utilisation simple, permettent un diagnostic et une prise en charge précoces, ce qui est essentiel : il est établi que plus l’obésité se prolonge pendant l’enfance, plus elle a de risques de persister à l’âge adulte.

Quelle prise en charge ?

Avant tout, il n’est pas question de mettre l’enfant au régime. Il faut cependant adopter dès que possible des mesures correctives, dans l’objectif de modifier et d’améliorer ses apports alimentaires et de développer son activité physique. Le but n’est pas d’obtenir une perte de kilos, mais de parvenir à stabiliser la corpulence du jeune et de freiner ou de stopper la prise de poids pendant qu’il continue de grandir, ce qui permettra de stabiliser ou de réduire son IMC pour retrouver la norme. A cet effet, il est indispensable de mobiliser tant l’enfant lui-même que ses parents, sans les culpabiliser, les blesser ou les choquer, car leur pleine adhésion est nécessaire. La démarche est principalement éducative et implique de comprendre le mode de vie familial pour procéder, ensemble, à des ajustements bénéfiques. Toute la famille – parfois même la famille élargie – sera donc impliquée, et il importe qu’elle « joue le jeu » et comprenne réellement les enjeux.
Ce n’est pas toujours aisé, car le sujet est sensible. Une toute récente étude américaine a montré que 90 % des parents ayant un enfant obèse estiment que sa corpulence est normale. Face au diagnostic, parfois posé lors d’une consultation médicale de routine, les parents peuvent se sentir culpabilisés, voire agressés, qu’ils soient eux-mêmes ou non en surpoids. Pour certains, déclarer que leur enfant est trop gros signifie – à tort – qu’ils sont de « mauvais parents », qu’ils ne font pas « ce qu’il faut ». Un maximum de délicatesse et d’empathie est donc de mise pour susciter une prise de conscience – qui aura peut-être besoin de maturer –, ainsi qu’une confiance réciproque, hors de tout jugement blessant. D’autant qu’il est nécessaire de faire un tour d’horizon des habitudes familiales, concernant l’alimentation, mais également les conditions de vie, les loisirs et l’activité physique, pour ne pas négliger les facteurs environnementaux et sociaux. Il importe que « le rôle du médecin soit davantage du domaine de la coopération empathique que de la prescription magistrale », est-il ainsi recommandé dans les documents officiels.
Bien évidemment, il n’est pas question de prescription médicamenteuse, de chirurgie de l’obésité (dite bariatrique), ni même de régime restrictif, frustrant et généralement inefficace sur les moyen et long termes. C’est une prise en charge globale, associant éducation thérapeutique (accompagnement en diététique et en activité physique) et soutien psychologique, au besoin, qui doit être élaborée ensemble.

Des conséquences psychologiques parfois importantes

Il faut bien comprendre que le surpoids du jeune n’a pas seulement des répercussions physiques : son retentissement sur le mental est parfois lourd et difficile à vivre, pouvant engendrer une grande souffrance et des troubles psychologiques (perte de confiance en soi, dégradation de l’image corporelle, troubles anxieux, voire dépression, isolement). Certains enfants en surpoids subissent des moqueries blessantes pendant les cours d’activité physique ou dans la cour de récréation. Ils peuvent se retrouver victimes d’un véritable harcèlement ou d’une mise à l’écart en milieu scolaire : le « gros » est souvent stigmatisé, et un véritable mal-être découle du regard malveillant que l’on pose sur lui et des railleries qu’il encaisse à longueur de journée.
Véronique Nègre, pédiatre au CHU de Besançon, qui s’occupe depuis plus de dix ans d’enfants et d’adolescents obèses, a coordonné l’ouvrage L’obésité des jeunes, faut qu’on en parle !*, spécifiquement dédié au surpoids des jeunes, à destination de toute la communauté éducative : enseignants, infirmiers et médecins scolaires, animateurs. Dans ce livre, qui a reçu le prix Prescrire 2015, elle rappelle que l’enfant n’est pas responsable de son surpoids, qu’il en souffre parfois intensément et qu’il doit être tout à la fois soutenu, motivé, déculpabilisé, bref, accompagné. Le regard et les mots du personnel médical doivent être adaptés, bienveillants, afin de motiver l’enfant sur la durée et de l’aider à se trouver de bonnes raisons de réduire son surpoids, et il est parfois utile de s’appuyer sur plusieurs professionnels (médecin traitant, diététicien, psychologue, éducateur en activité sportive) pour que celui-ci bénéficie d’un vrai réseau d’aide et de soutien autour de lui. Dans tous les cas, il importe de prendre en charge l’alimentation, l’activité physique et la psychologie du jeune patient et d’agir avec finesse. Qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un adolescent (en période de grande vulnérabilité), les difficultés auxquelles son surpoids le confronte peuvent mener à une vraie détresse morale et à une image de soi déplorable… et durable.

* L’obésité des jeunes, faut qu’on en parle ! Ouvrage coordonné par Véronique Nègre. Canopé éditions (93 pages + CD vidéo 2 h 40, 22 euros.)

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