La mémoire, ça s’entretient

, par  Vanessa Pageot-Françoise

Devenir un champion de la mémoire, ça vous tente ? Les Français sous-estiment leurs capacités de mémorisation, alors que, selon les chercheurs en sciences cognitives, la plasticité du cerveau est extraordinaire. Alimentation, sommeil, activités physiques ou intellectuelles, vie sociale… : découvrez comment stimuler vos neurones et entretenir votre mémoire au quotidien.

Vous souvenez-vous du nombre pi (π) ? Vous avez appris sa version « raccourcie » de 3,14, mais de là à vous rappeler des chiffres qui suivent… Le cerveau stocke ­certaines informations et en oublie d’autres de façon naturelle, c’est essentiel à son équilibre. Mais pourquoi vous souvenez-vous de ce nombre « inutile » au quotidien plutôt que du code de votre nouvelle carte bancaire ? Peut-être manquez-vous de concentration ou d’attention pour bien enregistrer ce dernier. Utilisez la méthode de l’association, un moyen mnémotechnique très utile dans la mémorisation des suites de chiffres : numéro de téléphone, code d’entrée, mot de passe, etc. Il suffit d’associer une image, une lettre ou un mot à chaque nombre. Par exemple, le code 3175 serait un champ de violettes, la fleur emblématique de Toulouse, préfecture de la Haute-Garonne (31), sous la tour Eiffel (75). On parle alors d’encodage par le ­système neuronal. « On sous-estime trop souvent la mémoire et ses capacités, constate ­Emmanuel ­Barbeau, chercheur au Centre de recherche cerveau et cognition, à ­Toulouse. Sans pathologie particulière, toute personne peut développer tel ou tel type de mémoire, voire devenir un champion de la mémoire. C’est une question de motivation. Il y a beaucoup d’exemples de “Monsieur et Madame Tout-le-monde” qui ont développé d’extraordinaires capa­cités parce qu’ils étaient motivés, comme ce Chinois, Chao Lu, qui a récité 67 890 décimales après pi. »
Autre astuce pour optimiser l’apprentissage : structurer les informations. « Moins nous organisons ce que nous apprenons, plus la récupération ultérieure est difficile et plus rapide est l’oubli », observe l’association Brain Up (1). Si vous êtes étudiant, par exemple, les fiches, les schémas et le surlignage vous aideront à hiérarchiser vos leçons. Pensez également à répéter à voix haute, la mémoire étant plus efficace quand plusieurs sens sont ­activés. Ainsi, 50 % de ce que vous voyez et entendez simultanément est enregistré, contre seulement 10 % de vos lectures ou 20 % de ce que vous écoutez. Brain Up conseille aussi de répéter et d’espacer les révisions : « Harry Bahrick, ­psychologue américain, stipule qu’un apprentissage réitéré cinq fois de suite avec des intervalles d’une journée permet de restituer 68 % des informations un mois plus tard. Ces mêmes apprentissages espacés de cinq jours permettent de rappeler 86 % des informations. »

Madeleine de Proust

Une fois l’information « encodée » (autrement dit mémorisée), elle est stockée dans l’hippo­campe (voir en bas de page le schéma « Le réseau de mémoire »), avant de « migrer » vers le ­cortex. Si les scientifiques ignorent encore combien de temps le souvenir reste dans l’hippo­campe, ils confirment le rôle central de celui-ci dans la mémorisation. Mais c’est aussi un organe très fragile : s’il est touché en cas d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou de traumatisme crânien, une partie de la mémoire récente et la mémoire épisodique risquent de s’effacer. « C’est pour cela qu’une personne, à la suite d’un accident, peut très bien se souvenir de son enfance, mais pas des deux dernières années de sa vie », ajoute le chercheur toulousain.
Un autre mécanisme clé de l’hippocampe a été découvert il y a une dizaine d’années : il fabrique en permanence de nouveaux ­neurones. « Ce phénomène, dit ­neurogenèse, a lieu tout au long de la vie, même s’il tend à diminuer avec l’âge », observe Serge Laroche, du centre de ­neurosciences de l’université Paris-Sud. La neurogenèse
est essentielle à la formation des souvenirs, les neurones produits chaque jour amenant de nouvelles capacités de stockage. Paradoxalement, elle expliquerait aussi pourquoi l’homme a peu de souvenirs de sa prime enfance : « Dans les premières années de vie, l’hippo­campe fabrique énormément de ­neurones, mais le système n’est pas encore mature. On pense que les informations ne sont pas consolidées en souvenirs à long terme parce que les nouveaux neurones “­perturbent” les circuits plus anciens », explique Serge Laroche, avant de poursuivre : « Aujourd’hui, beaucoup d’hypothèses n’ont pas été démontrées. Nous ne savons pas comment les diffé­rentes structures du cerveau coopèrent ni pourquoi un souvenir que l’on pensait oublié réapparaît des années après, en voyant par hasard un visage. » C’est ce que l’on appelle la ­récupération indirecte d’un souvenir. « Nous en avons tous fait l’expérience : une odeur, une musique ou une image nous rappelle un souvenir de façon inopinée. Une situation décrite par Marcel Proust dans le texte de la madeleine », commente le ­docteur Bernard Croisile, neurologue et chef du service de neuro­psychologie à l’hôpi­tal de Lyon.
Quant aux limites de la mémoire humaine, elles restent une énigme. « Nous constatons qu’elles sont repoussées bien plus loin que nous ne pouvions le ­penser, reconnaît Emmanuel Barbeau. Nous avons par exemple le cas d’un Américain souffrant d’un syndrome d’autisme qui, après avoir survolé la ville de New York en hélicoptère durant quinze minutes, a été capable de dessiner de mémoire tout un quartier, avec ses immeubles, le nombre exact de fenêtres pour chaque bâtiment, les rues, les véhicules qui s’y trouvaient, etc. C’est tout simplement incroyable ! »

Le cerveau, un organe comme les autres

A travers la question des limites de la mémoire se pose aussi, en filigrane, celle de sa détérioration, car les capacités de mémorisation diminuent bien avec l’âge… et ce dès 45 ans, selon une étude britannique publiée dans le British Medical Journal. « Non seulement la mémoire, mais toutes les facultés cognitives, comme le raisonnement ou la fluidité et le débit du langage, sont touchées par le vieillissement », précise l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Le cerveau est un organe qui, comme les autres, vieillit. Pour le préserver, le docteur Croisile parle de « matelas de ­neurones » ou de « réserve cognitive » qui se construit tout au long de la vie grâce à la stimulation cérébrale, à la vie sociale, à l’activité physique et à un régime alimentaire équilibré. « Des personnes qui ont une réserve cognitive ­importante ­développent alzheimer plus tardivement, leur cerveau compensant les lésions du début de la maladie », analyse Hélène Amieva, chercheur en neuro­sciences à l’université de Bordeaux (2). Ses derniers travaux, relayés dans Sciences et Santé, montrent également que le délai entre les premiers troubles cognitifs et le diagnostic d’alzheimer dépend du niveau d’éducation. « Il est de quinze ans en moyenne chez les personnes diplômées, contre sept chez celles qui n’ont pas fait d’études », souligne-t-elle. Au même titre, le bilinguisme ferait « gagner » plusieurs années.
Passer du temps sur les bancs d’école ne fait cependant pas tout : la vie sociale serait aussi un excellent stimulateur pour les connexions neuronales. Chaque échange avec votre famille, vos amis, vos voisins ou vos collègues retarderait le déclin cognitif. « Ce que montrent les études, ce n’est pas tant une question de quantité que de qualité : ce qui compte, ce n’est donc pas la fréquence, mais la richesse des échanges », tient à préciser Hélène Amieva.

Sudoku ou Scrabble ?

Une partie de bridge avec des amis permettrait donc de faire d’une pierre deux coups : enrichir sa vie sociale et stimuler ses neurones… A moins qu’une partie de Scrabble ne soit plus efficace ? « Quand on vient me voir en consultation mémoire, je ne conseille pas tel jeu plutôt qu’un autre, répond le docteur Croisile. Le plus important est d’avoir des activités variées. Il en va de même pour les exercices spécifiques sur papier ou sur ordinateur. Si cela vous plaît, faites-les. » Mais attention aux raccourcis : « Ce n’est pas en se focalisant sur le sudoku, par exemple, que l’on améliore sa mémoire, prévient le neurologue. Ce que vous améliorerez, c’est la performance au jeu. En enchaînant les grilles, vous ne vous souviendrez pas mieux de l’endroit où vous avez garé votre voiture ou de la personne qui vous a rendu visite la semaine dernière. Ce qui compte, c’est la diversité et la nouveauté, qui stimulent les neurones et donc la mémoire. » La curiosité serait ainsi une qualité essentielle ? « Des centenaires interrogés lors d’une étude, en 2001, ont déclaré n’avoir ni secret ni recette. Toutefois, des points communs ont été relevés, notamment une bonne dose de curiosité, d’humour et d’optimisme pour entreprendre et s’intéresser à tout », confirme Bernard Croisile.

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Apprendre en dormant ?

Le sommeil est tout aussi primordial pour le « bien-être » des neurones. « Il prépare le cerveau à apprendre, à encoder de nouvelles informations, explique le professeur Robert Jaffard, neurobiologiste. Toutes les formes de mémoire sont concernées, mais chaque stade du sommeil joue un rôle assez sélectif. On a longtemps pensé que le sommeil ne faisait que fixer en l’état les mémoires nouvellement formées tout en les renforçant, d’où le terme de consolidation. On sait maintenant qu’il transforme “intelligemment” leur contenu pour les rendre plus efficaces. Le cerveau endormi effectue un tri entre les informations mémorisées, qu’il conserve ou élimine en fonction de leur utilité future. »
Si apprendre en dormant, sans efforts, écouteurs rivés aux oreilles, fait rêver les étudiants, le résultat sera certainement un échec. La mémoire a en effet besoin de travailler pendant les phases d’éveil pour être consolidée et activée la nuit. « Tout indique que notre cerveau répète ou rejoue, sans que nous en soyons forcément conscients, les événements récents auxquels il a été confronté, note Robert Jaffard. Une nuit de sommeil fournit la solution à un problème, affine une connaissance topographique ou améliore la mémoire des “choses à faire” (on appelle cela la planification). » Quant aux nuits blanches de révision, c’est une mauvaise idée : « Outre une dégradation de la consolidation, le manque de sommeil réduit l’aptitude à acquérir de nouvelles informations en mémoire déclarative, prévient le professeur. Le fonctionnement du cerveau d’un adulte jeune qui est en train d’apprendre ressemble alors à celui d’une personne âgée. »

Laissez retomber la pression

Autre alliée de la mémoire, l’activité physique, qui optimiserait les fonctions cognitives : mieux oxygénés, les neurones seraient plus performants. « L’amélioration de l’oxygénation du cerveau par une pratique régulière a une action probante chez les personnes âgées au niveau de la capacité de réaction, de la mémoire et du raisonnement  », observe l’Inserm (3). Il n’est pas nécessaire de courir des heures, toute activité physique est bénéfique, que ce soit la marche, le jardinage ou la gym douce. Si vous souhaitez développer votre concentration, misez ­plutôt sur des disciplines comme le yoga ou le tai-chi-chuan. « La pratique régulière de la méditation stimule certaines zones du cerveau, notamment celles qui sont associées à l’attention et au contrôle de soi », ajoute l’association Brain Up.
Reposés et oxygénés, vos neurones ont encore besoin d’être nourris, car ils consomment 20 % de l’énergie alimentaire. Le régime méditerranéen ou crétois serait idéal : « Des études ont montré qu’il contribue, sur le long terme, à un déclin cognitif moindre par rapport à des personnes qui n’observent pas ce régime », rapporte Hélène Amieva. Privilégiez les fruits et les légumes, les céréales, les poissons et les huiles riches en oméga 3, en réduisant la viande et les produits laitiers. « Attention, il serait trop simpliste de dire : mangez plus d’oméga 3 et vous aurez une bonne mémoire. C’est un des facteurs au même titre que le sommeil ou le sport », souligne-t-elle, avant de donner un dernier conseil : qu’il s’agisse d’acti­vités sociales, de loisirs, de stimulation cérébrale ou d’alimentation, « n’attendez pas d’être à la retraite pour vous y mettre ! ».

(1) Association composée de professionnels en neuro­psychologie, en psychomotricité et en diététique. Pour plus d’infos : Brainup.fr.
(2) Membre du conseil scientifique de l’observatoire B2V des mémoires (Observatoireb2vdesmemoires.fr).
(3) « Activité physique, contextes et effets sur la santé », Inserm, avril 2008.

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