Espérer soulager ses enfants de la douleur, espérer les soigner et les voir grandir, c’est le combat de tous les parents d’enfants atteints d’une maladie rare. C’est celui de Guilhain Higonnet et de son épouse, dont les deux enfants ont été, en 2009, diagnostiqués porteurs du syndrome de Sanfilippo de type C(1). Une maladie neurodégénérative irréversible qui dégrade les facultés mentales et motrices, ne laissant qu’une faible espérance de vie. Aucun traitement, aucun projet de recherche.
En 2010, Guilhain Higonnet lance un appel sur Internet comme une bouteille à la mer, traduit en anglais, en allemand, en espagnol, en arabe et en chinois. Il y fait part de sa situation et sollicite d’autres familles confrontées à la même pathologie. Trois mères lui répondent, des Etats-Unis, du Portugal et d’Espagne. Les familles se réunissent autour d’un objectif : collecter des fonds pour financer elles mêmes la recherche. En créant des associations dans leurs pays respectifs, elles réunissent 300 000 euros, une somme suffisante pour le financement d’un programme partagé entre le Canada, le Royaume-Uni, la France, l’Espagne et l’Italie. La science s’est mise en marche, faisant naître l’espoir d’un traitement. La recherche est le catalyseur de l’espoir de toutes les familles. « Grâce à la multiplication des travaux de recherche et à l’avancée technologique, nous avons fait de nombreux progrès, souligne Laurence Tiennot-Herment, présidente de l’AFM-Téléthon.
Pour la myopathie de Duchenne, par exemple, les enfants ont gagné quinze ans d’espérance de vie en vingt-cinq années de recherche(2). »
Des passerelles entre recherche publique et recherche privée
En France, le Téléthon finance, grâce aux dons, une grande partie de la recherche. En juin dernier, Généthon, le laboratoire de l’association, a obtenu le statut d’établissement pharmaceutique accordé par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Son centre de production, Généthon Bioprod, est ainsi autorisé à produire des médicaments de thérapie innovante. « Pour la première fois, insiste Laurence Tiennot-Herment, une association à but non lucratif, créée par des malades et leurs familles et financée par la générosité publique, dispose d’un établissement pharmaceutique. Cet outil d’excellence nous permettra d’accélérer nos programmes de développement de biothérapies innovantes pour les maladies rares, et ce au service de l’intérêt général. »
Généthon n’est pas seul à plancher sur les maladies rares : des unités de recherche très pointues sont rattachées à des universités, à des instituts comme l’Inserm(3) ou à des hôpitaux, côté public, ou encore à des groupes pharmaceutiques, côté privé. La Fondation maladies rares(4) fait l’interface entre ces pôles publics et privés. Concrètement, elle favorise l’accès des chercheurs aux technologies et accompagne les équipes dans la mise en œuvre d’essais cliniques afin d’accélérer le développement de molécules potentiellement thérapeutiques.
Une coopération scientifique qui dépasse souvent les frontières hexagonales : « Je coordonne une équipe de chercheurs français et polonais, explique ainsi Aleksander Edelman, directeur de recherche au CNRS. Le Canada nous a fourni des outils techniques et la Suisse les cellules humaines en culture. » Avec son équipe (CNRS, Inserm et université Paris-Descartes), ce chercheur vient de découvrir deux molécules à fort potentiel thérapeutique pour la mucoviscidose. Il espère aboutir à un essai clinique dans trois à quatre ans. Avec en ligne de mire toujours un même espoir : guérir.
Pour un meilleur accès au médicament
Qui dit maladies rares dit peu de malades pour chaque pathologie et peu de « voix » face aux autorités sanitaires. Confrontées à cette situation, les associations se sont peu à peu rassemblées autour de l’Alliance maladies rares, qui fédère aujourd’hui 202 associations en France. Blandine Subra, présidente de l’Association du syndrome de Brugada(5), a fait appel à l’alliance pour porter son combat dans l’affaire du Serecor, seul médicament efficace – et vital – contre sa maladie. « En avril 2013, j’ai appris par un pharmacien le risque de rupture de stock du Serecor pour la fin de l’année, raconte-t-elle. Nous avons alors alerté les pouvoirs publics, et nous avons heureusement été entendus. »
Le combat d’autres associations est tourné vers le système français, et plus particulièrement vers celui des autorisations de mise sur le marché (AMM). Tout médicament, avant d’être vendu, est jugé sur son rapport bénéfices-risques. Si ce rapport est défavorable, le médicament n’est pas autorisé à la vente. « Mais quand les personnes n’ont aucune alternative thérapeutique, elles sont prêtes à prendre des risques, car un médicament reste toujours un vecteur d’espoir », observe Alain Donnart, président de l’Alliance maladies rares, qui défend le droit des patients d’accéder à tous les traitements. « La question du médicament et de son accès est centrale à l’alliance, précise-t-il, notamment dans cette période de crise sanitaire. »
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Un quotidien semé d’embûches
L’accès au médicament n’est pas le seul obstacle des familles confrontées à une maladie rare : parcours de soins, dossiers administratifs, reconnaissance du handicap, financement d’une aide humaine ou technique, etc. Dans le cas des maladies neuromusculaires, l’AFM-Téléthon a mis en place des équipes de « référents parcours de santé » dans toutes les régions de France pour accompagner les familles à chaque étape : diagnostic, consultations, etc. « Nous aidons par exemple les malades à monter un dossier de financement pour un fauteuil électrique, certains pouvant coûter jusqu’à 20 000 euros », précise Christophe Divernet, directeur du service régional Midi-Pyrénées.
Quand la maladie se manifeste à l’âge adulte, la vie professionnelle est souvent perturbée, mais pas impossible : aménagement du poste de travail, temps partiel, voire reconversion. Du côté des enfants, la scolarité se poursuit de manière classique pour la plupart des maladies neuromusculaires, avec l’aide ou non d’une auxiliaire de vie scolaire, pour la prise de notes par exemple. « De plus en plus d’enfants poursuivent leurs études dans le supérieur grâce à l’avancée des traitements, à la politique de santé sur le handicap, mais aussi à l’investissement des familles », note Christophe Divernet.
Les maladies qui touchent les capacités cognitives sont, elles, plus difficilement compatibles avec le modèle scolaire ordinaire. « Nous avons orienté notre fils Elouane, comme sa sœur aînée, vers une classe Clis(6), puis vers un institut médico-éducatif, raconte Guilhain Higonnet, mais sa prise en charge et son accompagnement ont été difficiles. » Elouane a en effet été exclu en décembre 2012 pour « des questions de sécurité » et une prise en charge « trop lourde pour l’établissement », explique son père, qui s’insurge : « Il y a un manque flagrant et indigne de l’accueil d’enfants handicapés dans ces institutions, qui laisse dans la détresse et dans la rupture de nombreuses familles en France. »
Les malades, experts de leur pathologie
Pour Blandine Subra, le diagnostic a été un véritable coup de tonnerre. En 2011, lors d’une consultation anesthésique, l’électrocardiogramme révèle une anomalie électrique : le syndrome de Brugada. Elle est alors hospitalisée pour le suivi de ces « orages électriques » qui perturbent le rythme cardiaque, caractéristiques de la pathologie. « Au cours d’un examen, j’ai fait un arrêt cardiaque, raconte-t-elle. C’était terrifiant, mais en même temps j’ai eu la chance d’être en milieu hospitalier : j’ai tout de suite été prise en charge. La seule alternative était l’implantation d’un défibrillateur. » Comme la plupart de maladies orphelines, le syndrome de Brugada est héréditaire. Blandine Subra a fait dépister ses deux filles. La cadette est porteuse du syndrome. « Agée de 17 ans, elle est aussi implantée. C’est vrai que les premiers temps ont été difficiles, mais aujourd’hui elle vit bien avec et je la sais protégée. »
Hyperactivité, renfermement, fragilité ou malaises répétés sont autant de symptômes qui peuvent induire un mauvais diagnostic. « L’hyperactivité est une des caractéristiques de la maladie de Sanfilippo, mais les professionnels de santé ont mis trois ans à déceler la maladie chez notre fille Laura », regrette Guilhain Higonnet. Cette errance de diagnostic est dénoncée par les associations de malades, qui l’estiment de trois à cinq ans pour les enfants et de dix à quinze ans pour les adultes. Parfois, elle dure toute une vie. « Je me souviens d’une femme de 65 ans qui s’était toujours sentie fatiguée, rapporte Christophe Divernet. Depuis l’enfance, on disait qu’elle était maladroite et paresseuse, et elle avait fini par s’en convaincre. Mais à 60 ans, on lui a diagnostiqué une maladie neuromusculaire dont les principales caractéristiques étaient justement ces symptômes. Pour elle, paradoxalement, cela a été un soulagement. »
L’Alliance maladies rares fait campagne pour la « pédagogie du doute » : « Nous comprenons qu’un médecin généraliste ne puisse pas connaître les 7 000 maladies rares en plus des pathologies communes, mais nous lui demandons de savoir dire “Je ne sais pas”, plutôt que de ne pas orienter assez tôt son patient vers les centres experts, présents dans chaque CHU, car cela a parfois des conséquences désastreuses tant pour le malade que pour l’entourage », plaide Pascal Déro, délégué régional Midi-Pyrénées. A l’initiative des associations, dont l’Alliance maladies rares, la France a lancé le premier Plan national des maladies rares en 2004, avec la création de 131 centres de référence. Rattachés aux hôpitaux, ces centres sont experts d’une ou de plusieurs maladies rares, du diagnostic à la prise en charge thérapeutique, psychologique et sociale. Les patients ont enfin trouvé leur point d’ancrage et des interlocuteurs avertis. Les centres de référence participent également à des actions de formation et d’information, pour les professionnels de santé comme pour les familles.
« De nombreuses familles se documentent de façon très approfondie sur la maladie qui les touche, en consultant des articles, y compris en anglais, ou en échangeant sur des forums Internet, constate le docteur Jean-Marie Faroudja, président de la section “Ethique et déontologie” au Conseil national de l’ordre des médecins. On se retrouve ainsi dans une situation paradoxale où le patient a parfois plus de connaissances que son médecin traitant. C’est alors au professionnel de santé d’approfondir ses connaissances médicales sur la maladie, pour lui permettre de suivre son patient dans les meilleures conditions possible. » « Il est très important que les médecins soient sensibilisés à la problématique des maladies rares, poursuit Christophe Divernet, car dans certaines situations d’urgence, des gestes classiques de la part des praticiens peuvent se révéler dangereux pour les patients, comme dans le cas de la maladie de Steiner, où la personne étouffe si elle est allongée sur le ventre. » Pour pallier le déficit d’information, Orphanet, base de données sur les maladies rares pilotée par l’Inserm, a répertorié les pathologies, leurs symptômes, leur prise en charge et la conduite à tenir en cas d’urgence. Un outil de référence unique au monde, ses notes informatives étant traduites en anglais, en allemand, en espagnol, en italien, en espagnol, en slovaque ou encore en finnois.
La recherche avance, en France comme à l’étranger, dans les labos et sur le terrain, où chacun garde espoir pour demain.