Un autre regard sur les maladies mentales

, par  Ciem

Dépression, anorexie, troubles bipolaires, phobies, schizophrénie… Actuellement, 12 millions de Français souffriraient de troubles psychiques. Pourtant, les maladies mentales restent encore l’objet de préjugés tenaces qui stigmatisent les patients et les isolent à la fois socialement et professionnellement. Or, d’après les professionnels, changer le regard sur ces maladies permettrait d’agir positivement sur le rétablissement et l’intégration des malades.

Les chiffres font froid dans le dos : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un Européen sur quatre sera touché par un trouble psychique au cours de sa vie. En France, les maladies mentales, qu’il s’agisse de dépression, d’addiction, de bipolarité ou encore de schizophrénie, affectent « une personne sur cinq chaque année et une sur trois si l’on se réfère à la prévalence sur la vie entière », précise la fondation Fondamental. Très variées, ces pathologies se situent au troisième rang des maladies les plus fréquentes après le cancer et les atteintes cardiovasculaires. Parmi les principales prédominences observées, on peut citer l’anxiété généralisée (13 %), l’épisode dépressif (11 %) ou le syndrome d’allure psychotique (2,8%). Toutes se caractérisent par des troubles du comportement souvent associés à des problèmes cognitifs (difficultés de concentration, mémoire déficiente), s’accompagnent d’une grande souffrance psychique et perturbent la capacité des patients à s’adapter à leur environnement. Les conséquences sont parfois dramatiques : chaque année en France, environ 9 000 personnes se suicident et 200 000 attentent à leurs jours. Les jeunes, chez qui le suicide est la deuxième cause de mortalité, sont particulièrement touchés par les maladies mentales : dans plus de 70 % des cas, les premiers signes apparaissent entre 15 et 25 ans, et même avant 3 ans pour les troubles du spectre de l’autisme.

Stéréotypes et discrimination

Malgré leur fréquence élevée, les maladies mentales font encore l’objet de préjugés tenaces. « Dans l’imaginaire populaire, les troubles psychiques et psychiatriques sont depuis très longtemps associés aux notions de dangerosité, d’imprévisibilité et de crime », explique Aude Caria, directrice de Psycom, un organisme public d’information sur la santé. « Cet imaginaire se nourrit notamment des représentations que l’on voit dans la littérature, le cinéma et les médias : le stéréotype du « schizophrène », par exemple, est forcément associée au « fou dangereux », auteur de faits divers et capable de tuer à tout moment. Alors que ça n’a rien à voir avec ce que la psychiatrie décrit de la schizophrénie ». Sur son site internet, le Psycom rappelle que moins de 1 % des crimes sont commis par des personnes atteintes de troubles graves de santé mentale et qu’« aucune corrélation entre diagnostic psychiatrique et passage à l’acte violent n’a été scientifiquement prouvé. Ces malades sont d’ailleurs dix fois plus victimes d’actes criminels qu’ils n’en sont les auteurs », rappelle de son côté la fondation Fondamental.
Il n’empêche : par méconnaissance, les maladies mentales font peur. Pourtant, « les pathologies psychiques ne sont pas forcément chroniques et définitives, ajoute Aude Caria. Elles se soignent et même si certaines durent dans le temps, il y a des moyens de les alléger et de vivre avec. Ce n’est pas une fatalité. »Pour les malades, les conséquences de la stigmatisation restent néanmoins très lourdes. « Ce phénomène entraîne une réaction de protection avec des réflexes de mise à l’écart qui séparent les individus en deux catégories : ceux qui ont un problème de santé mentale d’un côté et les gens dits normaux de l’autre », se désole la directrice de Pyscom.

Difficultés d’accès au logement et à l’emploi

Résultat : en plus de leurs troubles, les patients souffrent d’une baisse de l’estime de soi, d’un sentiment de honte mais aussi de difficultés d’accès au logement et à l’emploi. D’après l’Institut national de veille sanitaire (INVS-Santé publique France), seules 40 % des personnes en situation de handicap psychique exercent une activité professionnelle. Celles qui souffrent de problèmes légers à modérés, comme l’anxiété ou la dépression, sont quant à elles « deux fois plus susceptibles d’être au chômage. (Elles) courent aussi un risque beaucoup plus élevé de pauvreté et de marginalisation sociale », souligne l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Parce que ces patients cumulent aussi souvent plusieurs facteurs de risques (tabagisme élevé, absence d’activité physique, alimentation déséquilibrée), ils sont également plus souvent touchés par le surpoids, le diabète et les maladies cardiovasculaires ou respiratoires.
Ce n’est pas tout. Par crainte d’être stigmatisés, certains malades hésitent à consulter. « Pendant longtemps, je n’ai pas accepté ma dépression, confie Joséphine .J’allais très mal mais je ne voulais ni aller chez le psy, ni prendre des médicaments. Je refusais de faire partie de ce monde-là, de ces gens incapables de gérer leur vie. J’ai mis des mois à me décider, ce qui a aggravé mes symptômes. » En l’absence de diagnostic et d’accompagnement adapté, le malade reste livré à lui-même et finit par recourir aux soins dans l’urgence. A ce moment-là, la réponse est souvent limitée à l’hospitalisation complète avec des traitements plus lourds et plus coûteux. A l’inverse, une prise en charge précoce améliore considérablement le pronostic et la qualité de vie des patients. Plus on intervient tôt, meilleures sont les réponses aux traitements et les chances de rémission.

Manque de formation des professionnels de premier recours

Le retard de diagnostic, qui peut atteindre plusieurs années (jusqu’à 10 ans en moyenne pour les troubles bipolaires), s’explique aussi par le manque de formation des professionnels de premiers recours, insuffisamment coordonnés avec les services spécialisés et souvent mal à l’aise avec les maladies mentales. « Certains peuvent avoir eux-mêmes des préjugés et hésiter à poser un diagnostic dont ils ne sont pas sûrs à 100% et qui stigmatiserait leur patient », explique le professeur Pierre-Michel Llorca, chef du service de psychiatrie au CHU de Clermont-Ferrand. Ils ont aussi parfois du mal à identifier ces pathologies parce que les premiers signes sont très peu spécifiques (troubles du sommeil, de la concentration, de la mémoire, conduites à risque, ndlr). A cela s’ajoute également le problème de l’inégalité d’accès aux soins sur le territoire. « Dans les zones reculées, trouver un psychologue ou un psychiatre peut vite devenir très compliqué », précise le professeur Llorca.
Véritable obstacle à la prise en charge précoce, la formation des professionnels de première ligne fait partie des actions prioritaires de la feuille de route « Santé mentale et psychiatrie », présentée en juin 2018 par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Parmi les mesures prévues : l’ouverture d’un stage en santé mentale pour les internes en médecine. Mais pour le moment, il ne s’agit que d’une option proposée parmi d’autres et non pas d’une obligation.
Pour améliorer la prise en charge des maladies psychiatriques, « un effort spécifique de coordination des soins doit également être réalisé », ajoute le professeur Llorca. Un aspect également évoqué dans la feuille de route de la ministre avec les Projets territoriaux de santé mentale (PTSM). Actuellement en cours de développement sur le territoire, ces PTSM devraient permettre à tous les acteurs concernés (psychiatrie, soins primaires, collectivités territoriales, établissements et services psycho-sociaux) de constituer des réseaux de partenariats pour mieux structurer l’offre de proximité et assurer une continuité du suivi tout au long du parcours du patient. Dans la même optique, « des actions de prévention de la souffrance au travail (à l’origine de nombreuses dépressions et invalidités, ndlr) seront mises en place », promet le ministère de la Santé.
Enfin, « les dispositifs locaux d’intervention précoce, du type Maison des adolescents, ces structures qui centralisent l’accès à l’information et aux soins en un même espace, doivent aussi être développés », soulignent la fondation Fondamental et l’Institut Montaigne, dans un rapport sur la prévention des maladies psychiatriques.

Promouvoir une vision globale de la santé

Mais avant cela, c’est bien d’un changement de regard sur la maladie dont il est question. Préalable à toute évolution de la prise en charge, la lutte contre la stigmatisation « permet d’agir positivement auprès des personnes concernées en favorisant leur rétablissement, leur intégration et l’accès aux soins précoces », explique Aude Caria. Cela commence par la promotion d’une vision globale de la santé. « On a trop tendance à penser que la santé physique et la santé mentale sont séparées. Or, comme le dit l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il n’y a pas de santé sans santé mentale. Nous avons toutes et tous une santé mentale, et nous pouvons toutes et tous avoir des problèmes de santé mentale. A partir du moment où l’on comprend ça, on réalise aussi qu’il est important d’en prendre soin ». Ainsi, pour les professionnels, promouvoir l’activité physique (dont on connaît les effets positifs pour le moral et l’estime de soi) et les compétences psychosociales (gestion des émotions, du stress, des conflits) auprès de tous apparaît comme un axe essentiel de prévention.
La lutte contre la stigmatisation passe aussi par une meilleure information de la population. Elle sera d’autant plus efficace si elle est destinée à des publics ciblés, avec des programmes faisant intervenir des patients et leurs proches. Trop généralistes, les grandes campagnes d’information nationales ou internationales « ont un faible impact sur la stigmatisation et la discrimination pour un coût élevé », précise le Psycom. « Ce qui marche, c’est tout ce qui permet le dialogue, l’entraide, l’échange avec les personnes qui vivent ou ont vécu des troubles psychiques », détaille sa directrice. En ce sens, les Semaines d’information sur la santé mentale (Sism), qui viennent d’avoir lieu du 16 au 29 mars, sont un bel exemple. Chaque année depuis 30 ans, sur un thème différent, plus d’un millier d’événements locaux (ciné-débats, conférences, théâtre, ateliers découvertes, portes ouvertes d’établissements…) sont organisés dans toute la France par des patients, des professionnels et des élus afin d’ouvrir le débat sur ces questions. Toutes ces actions permettent malgré tout que les choses commencent à bouger. « Les mentalités évoluent, constate Aude Caria. Les personnes concernées par des problèmes de santé mentale sont de plus en plus nombreuses à prendre la parole. Petit à petit, le sujet devient moins tabou surtout chez les jeunes générations. » Pour preuve, ce dernier chiffre : d’après un sondage YouGov pour Psychologies, publié récemment, 37 % des 18-24 ans ont déjà consulté un psychologue. C’est presque le double que chez les plus de 55 ans.

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