Maladie chronique : comment« gérer » les douleurs ?
Être atteint d’une maladie chronique est déjà une lourde épreuve. Malheureusement, aux complications et aux difficultés quotidiennes engendrées par la maladie s’ajoutent très souvent des douleurs. Ces dernières, qui évoluent au fil des années en même temps que la pathologie, peuvent devenir de plus en plus difficiles à supporter. Comment les surmonter, ou tout au moins vivre avec ?
Quasiment tous les patients chroniques en témoignent : les douleurs consécutives à leur pathologie ont un fort retentissement sur leur quotidien. Avec leur apparition, ce sont des petites habitudes qu’ils aimaient accomplir dont ils doivent faire le deuil. Lorsqu’il y a deux ans, Catherine, 45 ans, apprend que sa toux persistante n’est pas provoquée par une bronchite chronique mais par un cancer du poumon qui a déjà commencé à se propager et atteint les ganglions, sa vie bascule. Hormis cette toux, rien ne lui avait signalé la présence d’une tumeur maligne. Mais, à la suite de la mise en place du traitement, des douleurs se sont manifestées. Cela a commencé par des maux de tête violents, des courbatures qui l’empêchaient de se lever le matin, des douleurs qui lui tordaient le ventre… Chaque journée s’émaillait de désagréments : un vrai calvaire. « Je ne pouvais plus dormir, ni vivre normalement, raconte-t-elle. Il fallait pourtant continuer à m’occuper de ma fille, lui préparer ses repas, l’emmener à l’école… Sans les médicaments, cela m’aurait été impossible. Le pire, ce sont les douleurs osseuses provoquées par les métastases. J’ai eu notamment des fractures de contrainte aux deux genoux, qui ont été particulièrement sévères. » Morphine, corticoïdes et antidépresseurs lui évitent de sombrer dans la déprime et l’aident à passer le cap. Aujourd’hui, deux ans plus tard, après une immunothérapie qui n’a pas fonctionné comme elle l’espérait, Catherine a repris un traitement classique de chimiothérapie qui la fatigue mais qui limite le développement de la tumeur. « Maintenant ça va beaucoup mieux, je prends moins de morphine, ajoute-t-elle. C’est surtout l’arthrose qui m’anéantit, mais heureusement pas tous les jours. »
L’arthrose, la cause la plus fréquente de douleur
« La maladie chronique qui fait le plus souffrir mes patients, c’est l’arthrose, explique Philippe Marissal, médecin généraliste. Elle est réellement handicapante et peut même pousser à s’arrêter de travailler. Elle peut survenir aussi bien à 40 ans chez une danseuse étoile qu’à 55 ans chez un ouvrier. » En France, près de la moitié des 10 millions de personnes atteintes d’arthrose ont moins de 60 ans. C’est la maladie articulaire la plus répandue et la première cause de handicap après 40 ans, car les douleurs dues à l’inflammation des zones articulaires entraînent à la longue une perte de mobilité. Si elle ne se guérit pas, on peut toutefois ralentir son évolution et limiter les symptômes.
« On met alors en place plusieurs traitements : déjà, on leur explique comment ils en sont arrivés là et comment éviter une aggravation, puis on leur prescrit des médicaments (antalgiques, anti-inflammatoires, corticoïdes) », détaille le médecin, qui précise : « Je regarde tout, les chaussures que porte mon patient, les mouvements qu’il exécute au quotidien, etc. Les traitements sont très différents selon les cas. Pour une arthrose du pouce, par exemple, une orthèse peut suffire à soulager. »
Un symptôme toujours présent
Il n’y a pas de maladie chronique indolore. Hypertension artérielle (HTA) ou diabète, par exemple, que l’on qualifie pourtant souvent de « maladies silencieuses », ne sont pas en reste de ce côté-là. Le diabète sucré, qui atteint les nerfs, peut provoquer des crampes très vives dans les membres inférieurs ainsi que des troubles musculo-squelettiques pouvant, avec le temps, devenir invalidants si rien n’est fait. Il peut aussi être à l’origine de constipation ou de diarrhée. Quant à l’HTA, elle se manifeste parfois par de forts maux de tête et, à l’instar du diabète, peut causer de graves complications sur le long terme, voire des accidents cardiovasculaires si elle est mal contrôlée. Les maladies neurodégénératives, comme Alzheimer ou Parkinson, s’accompagnent elles aussi de leur lot de souffrances, qui évoluent généralement au fil des années.
La douleur constitue le désagrément principal de certaines affections, comme la fibromyalgie, la migraine ou l’arthrose. Mais la liste des maladies chroniques est longue et pour certaines la douleur n’est qu’un des nombreux symptômes possibles. Ainsi, l’endométriose (caractérisée par la croissance de l’endomètre à l’extérieur de l’utérus, tissu qui recouvre normalement l’intérieur de l’utérus), les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), le syndrome du côlon irritable, les cancers, la sclérose en plaques, la polyarthrite rhumatoïde ou encore les maladies auto-immunes, pour n’en citer que quelques-unes, ne sont pas non plus exemptes de douleurs.
La douleur chronique : une pathologie à part entière
« Une douleur est dite chronique dès lors qu’elle est persistante ou récurrente (le plus souvent au-delà de six mois), qu’elle répond mal au traitement et qu’elle induit une détérioration fonctionnelle et relationnelle », précise le ministère des Solidarités et de la Santé, qui complète : « Chez les patients les plus sévèrement affectés, elle peut par ailleurs s’accompagner des facteurs de renforcement que sont des manifestations psychopathologiques, une demande insistante de recours à des médicaments ou des procédures médicales souvent invasives, ainsi qu’une difficulté à s’adapter à la situation. » Depuis 2019, les douleurs chroniques sont d’ailleurs classées comme des maladies à part entière par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Parfois la cause originelle a disparu mais la douleur a persisté. Or ce type de douleur rebelle est particulièrement difficile à vivre. Comment, en effet, accepter un mal dont on ignore la cause et comment garder l’espoir de le voir rapidement disparaître ? Dans 70 % des cas, les personnes ne reçoivent pas un traitement approprié et moins de 3 % d’entre elles sont suivies dans des centres spécialisés, alertait la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) dans un livre blanc publié en 2017. Et le constat est alarmant : la moitié des patients a une qualité de vie très altérée. À tel point que 30 % des patients souffrants ont des idées suicidaires. Douleur et dépression : le cercle vicieux. Dans 30 % à 40 % des cas de douleurs physiques persistantes, on observe une dépression souvent associée à une anxiété et une grande fatigue.
Mettre des mots sur les maux
L’International Association for the Study of Pain (IASP) propose de redéfinir la notion de douleur comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée, ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ». « Cette formulation alambiquée révèle la difficulté de définir la douleur, qui est avant tout une expérience personnelle, influencée assez largement par des facteurs biologiques (comme le sexe ou l’âge), des facteurs psychologiques et sociaux », observe la SFETD. « La douleur a autant d’expressions que là d’où l’on vient », confirme le docteur Philippe Marissal. Alors, pour bien évaluer le degré et le type de souffrance qu’il ressent, le généraliste interroge son patient : « Je lui demande si ça le brûle ou si ça le ronge, par exemple. » Il existe également différents outils, comme des échelles allant de 1 à 10, qui permettent d’en caractériser l’intensité. Mais la difficulté à mesurer sa détresse vient souvent du fait que tout le monde ne ressent pas et n’exprime pas sa peine de la même façon. « Le vocabulaire varie selon les personnes. Chacun évalue sa douleur avec ses mots, les expressions qui lui sont propres en fonction de son origine géographique, voire sociale. L’éducation et le vécu des personnes conditionnent souvent le degré de douleur qu’ils peuvent endurer et accepter », souligne-t-il. En faisant le relais avec les spécialistes, en restant à l’écoute de son patient qu’il suit sur le long cours, le médecin généraliste joue un rôle clé dans la prise en charge des douleurs.
Mobilité : le maître mot
« Un dicton dit que passé 50 ans, si l’on se lève le matin sans ressentir aucune douleur, alors c’est que l’on est mort, ou un autre que la maladie arrive au galop et repart à pied », rapporte le docteur Marissal, avant de poursuivre : « Ces dictons montrent bien que la douleur fait partie de la vie, que ce que l’on cherche ce n’est pas la non-douleur mais le confort de vivre. En revanche, lorsqu’elle empêche, par exemple, une personne d’aller faire ses courses, il faut bien entendu tout faire pour la soulager. »
« Le repli sur soi fait majorer la douleur », prévient Philippe Gros, kinésithérapeute-ostéopathe. « Les personnes qui souffrent sont généralement très tendues, elles se contractent, ce qui peut générer d’autres symptômes, comme des troubles digestifs (constipation, ulcérations), des difficultés respiratoires (dyspnée), des céphalées ou des problèmes cardiaques. Il est essentiel de leur redonner de la mobilité. » Pour cela, lui aussi prend le temps d’écouter son patient afin de cerner l’origine du mal et les raisons pour lesquelles il se révèle, car « il faut éviter par tous les moyens le passage de la douleur brève, dite lésionnelle, à une douleur persistante ou rebelle. Pour cela il faut soulager le malade par un traitement pharmaco-thérapeutique (antalgiques ou anti-inflammatoires) et éventuellement avoir recours à des séances de psychothérapie ». Lors des premières séances de kiné ou d’ostéopathie, le praticien mobilise le corps du patient en douceur : « Il ne faut jamais aller dans le sens de la douleur. Cette dernière représente un réel obstacle à la rééducation ». Les exercices sont donc progressifs. Le patient doit se laisser faire, « être d’abord mobilisé passivement, avant de passer plus tard à une mobilisation active douce. » Puis lorsque les blocages sont levés, il redécouvre le plaisir de bouger. De plus, l’activité physique soutenue, lorsqu’elle est permise, produit une sécrétion d’endorphine, une hormone connue pour inhiber la douleur. Avec les massages thérapeutiques destinés à dénouer les tensions et des mouvements spécifiques qui agissent sur les structures musculo-tendineuses, le kiné a tout un arsenal de dispositifs permettant de réduire les maux : cryothérapie, thermothérapie, électrothérapie, étirements, etc.
Retrouver confiance en soi…
De la même façon qu’il faut apprendre à vivre avec une maladie chronique, il faut aussi savoir apprivoiser sa douleur. Facile à dire. Pourtant, Éléonore Piot-de Villars montre l’exemple. Cette ancienne sportive, souffrant elle-même d’une pathologie invalidante, s’est formée à l’Université des patients pour devenir patiente experte. Elle peut ainsi faire profiter d’autres personnes qui souffrent des fruits de sa propre expérience. Elle développe et anime, avec un kiné, un atelier d’éducation thérapeutique qui s’inscrit dans un projet de l’Institut Curie (programme d’éducation thérapeutique Déclic, pour « DoulEur Chronique Liée au Cancer » ou à ses traitements), et intervient également auprès de patients obèses. Ces ateliers pédagogiques, prescrits par un médecin, ont pour but de lever les freins et de sensibiliser sur l’importance et les bienfaits d’une activité physique adaptée, car les malades ont développé une véritable kinésiophobie. Ils n’osent plus bouger de peur d’avoir mal. « À travers ces différents ateliers collectifs de six à huit personnes, nous leur réapprenons à bouger, à porter un objet lourd, par exemple, sans se faire mal. Les thèmes sont : Connaître mon traitement. Comment se mobiliser ? Comment appréhender son corps avec sa douleur ? Réapprendre les règles de bonne pratique, de bonne posture, détaille Éléonore Piot. À leur demande, je leur délivre mon expérience et cherche à susciter leur réflexion. Je m’appuie pour cela sur divers supports. Je leur montre, par exemple, des images : une photo de marathon, une personne qui fait ses courses, etc., pour identifier les situations à risque, susceptibles d’exacerber les douleurs. Je renforce leur motivation par des jeux de rôle. Même s’ils ont mal, ils se rendent compte qu’ils y arrivent. »
… et reprendre goût à la vie
« Il m’arrive de connaître des moments très douloureux, qui peuvent durer, poursuit-elle. En faisant l’effort de porter mon attention sur autre chose, je parviens à me sentir mieux. »
Car pour redevenir maître de la situation, il est essentiel de parvenir à faire passer la douleur au second plan. Activité physique, mais aussi techniques de respiration et de relaxation font partie du processus pour dépasser sa souffrance et prendre du recul. « Moi, par exemple, j’ai régulièrement le bas du dos douloureux, ce qui m’empêche de dormir, témoigne le docteur Marissal. Eh bien, quand je bivouaque en montagne à 6 000 mètres, le plaisir est plus fort que la douleur. Il faut favoriser tout ce qui va permettre aux gens d’oublier leur mal. Valoriser autre chose que la douleur. »
© C i E M / Isabelle Coston