Douleur de l’enfant :une prise en charge récente
Pendant longtemps, la douleur que peuvent ressentir les enfants a été totalement ignorée. Elle a commencé à être réellement prise en compte il y a seulement un peu plus de trente ans ! Retour sur les grandes étapes qui ont conduit à l’amélioration significative des soins.
1985 : une échelle de la douleur adaptée
L’équipe de Patrick McGrath, professeur de psychiatrie à l’université Dalhousie au Canada, publie la toute première grille d’observation de la douleur de l’enfant, appelée Cheops pour Children’s Hospital of Eastern Ontario Pain Scale. Celle-ci permet d’évaluer l’état affectif et comportemental d’un enfant de 1 à 7 ans au réveil d’une opération. Pour cela, elle s’attache à noter six items : les pleurs, l’expression faciale, les plaintes verbales, la position du corps, l’éventuel toucher de la plaie et la position des jambes. Au-delà du score de 9 points sur 13, la prescription d’antalgique est recommandée.
1987 : la reconnaissance
Le pédiatre et anesthésiste indien Kanwaljeet J. S. Anand publie, dans le New England Journal of Medicine,un article qui fera date. Il y démontre que les nouveau-nés ressentent bien la douleur, contrairement à une idée reçue tenace. Il confirme, de plus, que cette dernière est conservée en mémoire et peut donc avoir des conséquences sur les comportements ultérieurs, ce qui contredit la croyance répandue que la douleur chez l’enfant est sans conséquences.
Cette même année, en France, l’équipe de la pédiatre et psychiatre Annie Gauvain-Piquard publie, dans la revue Pain, une échelle de mesure de la douleur prolongée de l’enfant. Baptisée DEGR, pour douleur enfant Gustave-Roussy, elle est élaborée pour les 2-6 ans. Elle comprend 10 items. Un score à partir de 10 points sur 40 nécessite une prise antalgique.
1989 : une banque de données
Un groupe francophone, composé d’anesthésistes, pédiatres, réanimateurs, pharmacologues, infirmières, puéricultrices et psychologue, crée Pédiadol, la première banque de données consacrée à la douleur de l’enfant. Elle a pour but de collecter toutes les publications sur le sujet afin de les rendre accessibles aux professionnels de santé.
12 décembre 1991 : première journée sur la douleur de l’enfant
Le groupe Pédiadol organise une journée intitulée « La douleur de l’enfant. Quelles réponses ? ». Les résultats d’une enquête nationale sur la perception, la reconnaissance, l’évaluation et le traitement de la douleur en réanimation pédiatrique y sont présentés. Celle-ci révèle une grande disparité dans les pratiques au sein des unités de néonatologie et de réanimation pédiatrique. Elle fait également état des faibles connaissances des professionnels interrogés en matière d’antalgiques.
1997 : l’impact de la douleur déterminé
Un article d’Anna Taddio, publié dans The Lancet, fait évoluer les connaissances et confirme que la douleur dans l’enfance a un impact sur le long terme. La professeure de pharmacie canadienne démontre ainsi que des enfants qui ont été circoncis à la naissance sans anesthésie – comme cela se pratiquait alors – ont une réaction à la douleur, lors d’une vaccination quelques mois plus tard, beaucoup plus importante que les autres enfants.
2000 : premières préconisations françaises
L’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la santé (Anaes) élabore les premières préconisations concernant l’évaluation et la prise en charge de la douleur aiguë, en ambulatoire, chez les enfants de 1 mois à 15 ans. En introduction, l’agence rappelle : « Il est démontré que, dès sa naissance, l’enfant est susceptible de ressentir la douleur. Il existe des obligations éthiques et légales à soulager cette douleur. De plus, la douleur peut avoir des conséquences néfastes sur l’enfant tandis qu’il n’y a pas d’arguments permettant de penser que la douleur puisse lui être profitable. »
2002 : un programme de lutte contre la douleur
Le deuxième plan national de la lutte contre la douleur (2002-2005) place, pour la première fois, l’amélioration de la prise en charge de la douleur de l’enfant parmi ses trois priorités. Une enquête de la Direction générale de la santé (DGS), publiée en 1998, avait en effet montré que celle-ci était « majoritairement et insuffisamment prise en charge », indique le plan. « Les principaux obstacles concernent la reconnaissance de la réalité de la douleur, la crainte exagérée d’utiliser les médicaments efficaces (médicaments opioïdes, mélange oxygène protoxyde d’azote), l’utilisation insuffisante des outils d’évaluation, et tout particulièrement des grilles comportementales, et enfin la très grande hétérogénéité voire l’incohérence des pratiques », est-il précisé.
2009 : des recommandations de bonne pratique
L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) édicte des recommandations de bonne pratique sur la prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant. « La douleur provoquée (soins, actes, chirurgie, explorations…) est fréquente chez l’enfant, estime l’Afssaps. Faute de couverture antalgique efficace, l’enfant est immobilisé de force, ce qui peut créer chez certains, un traumatisme psychique et générer des comportements phobiques, avec pour conséquence, retards et difficultés pour accéder aux soins. »L’Agence préconise d’avoir recours à une échelle validée d’évaluation de la douleur pour prescrire des antalgiques. Elle ajoute : « L’anxiété majorant la perception de la douleur, des moyens non médicamenteux peuvent contribuer à sa diminution : information, préparation de l’enfant (et de sa famille), détournement de l’attention, distraction… »
2019 : une échelle de mesure de la contention
Alors que la contention est souvent utilisée lors des soins pédiatriques, un outil de mesure de son intensité est publié dans la revue Heliyon. L’échelle Procedural Restraint Intensity in Children(Pric)se fonde sur le nombre de personnes requises pour maintenir une ou plusieurs parties du corps, le degré de force utilisé et les réactions de l’enfant. Son but est d’objectiver le niveau de contention afin de mettre en place une prise en charge plus adaptée.
Définition de la douleur
Selon l’Association internationale pour l’étude de la douleur (International association for the study of pain – IASP), la douleur se définit comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée, ou ressemblant, à celle liée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ». De plus, elle est « toujours une expérience personnelle influencée à des degrés divers par des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux ». La verbalisation n’est d’ailleurs pas le seul moyen d’expression de la douleur. Ainsi, « l’incapacité à communiquer ne nie pas la possibilité qu’un être humain ou un animal non humain ressente de la douleur », précise l’IASP.
Benoît Saint-Sever
Sources : « Histoire de la prise en charge de la douleur de l’enfant », de Daniel Annequin, article de La Revue du praticien, vol. 74, novembre 2024 ; Iasp-pain.org, le site de l’Association internationale pour l’étude de la douleur ;
« Le phénomène de la douleur chez l’enfant », thèse de doctorat de Pascale Spicher, faculté des lettres de l’Université de Fribourg (Suisse), 2002 ; Pediadol.org ; Sante.gouv.fr, le site du ministère du Travail de la Santé, des solidarités et des Familles ; Has-sante.fr, le site de la Haute autorité de santé.

														  
			