Soins ambulatoires : le point sur les similitudes et les différences entre la France et l’Allemagne
Dans son numéro de juin de Questions d’économie de la santé, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) propose un comparatif des systèmes de soins ambulatoires allemand et français, deux pays pionniers en matière de sécurité sociale et de prise en charge des soins de santé.
Les débats sur la viabilité et le coût du système de santé et d’Assurance maladie à la française, mis en place en 1945, reviennent inlassablement sur le devant de la scène. Pourtant, beaucoup oublient que c’est l’Allemagne qui a mis en place le premier système d’assurance maladie, à la fin du XIXe siècle.
L’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) publie ce mois-ci un comparatif des prises en charge ambulatoires – c’est-à-dire des soins qui ne nécessitent pas d’hospitalisation – mises en place des deux côtés du Rhin. Le rapport, réalisé par les chercheuses Sarah Minery et Zeynep Or, analyse avec précision les différentes composantes des systèmes français et allemands. Premier enseignement : les deux pays ont pour point commun d’accorder une place très conséquente à leur système de santé, environ 12 % de leur PIB chacun.
Des différences structurelles
Si l’Allemagne est un pays décentralisé, où les 16 länder ont un pouvoir très large, la France est infiniment plus centralisée : c’est l’État qui gère de près le système de santé. Celui-ci se distingue ainsi par une assurance maladie obligatoire publique et par un payeur unique, tandis que le modèle allemand est bien plus libéral.
Les Allemands peuvent en effet souscrire soit au régime public et général, soit à une assurance maladie complémentaire de substitution. De plus, les caisses de l’Assurance maladie allemande sont ouvertes à la concurrence : il existe 96 caisses publiques et 46 caisses privées.
De nouvelles manières de pratiquer
Le rapport note que les systèmes collaboratifs entre médecins se sont largement développés, autant en France qu’en Allemagne. Face aux difficultés d’installation des médecins libéraux en cabinet, les deux pays ont eu recours à des créations de maison de santé pluridisciplinaire ou au recrutement d’assistants médicaux.
Une nécessité puisque les jeunes médecins des deux pays « recherchent davantage une activité salariée qu’une pratique indépendante pour mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle », note l’Irdes. « Le travail en équipe permettant de déléguer les tâches administratives et organisationnelles, une activité à temps partiel et des horaires de travail réguliers sont également de plus en plus recherchés », ajoute l’Institut.
Des déserts médicaux… des deux côtés de la frontière ?
L’Allemagne comme la France doivent faire face aux déserts médicaux. La première a adopté dès 1993 un plan pour réguler l’installation de médecins en ville et éviter une surdensité. Mais, celui-ci ne prévoyait pas d’inciter les professionnels à poser leurs valises dans les campagnes, menant à un déséquilibre entre zone rurale et urbaine. En France, en revanche, l’installation des médecins de ville est libre.
Toutefois, selon les deux chercheuses, les problèmes d’accès aux soins en Allemagne « semblent être moins flagrants qu’en France ». « Les écarts géographiques en densité de médecins généralistes sont moins importants en Allemagne qu’en France, expliquent-elles. D’après le G-BA [Gemeinsamer Bundesausschuss ou Comité mixte fédéral, l’organe décisionnel suprême du système de santé allemand, NDLR], en 2018, la quasi-totalité de la population en Allemagne pouvait atteindre un médecin généraliste en moins de dix minutes en voiture (99,8 %) et la plupart des médecins spécialistes en moins de 30 minutes (99 %). La majorité des personnes interrogées déclarait également obtenir un rendez-vous en quelques jours. »
D’autres différences structurelles demeurent. Au contraire de l’Allemagne, la France compte plus de généralistes que de spécialistes (56 % contre 36 % outre-Rhin). Par ailleurs, si les Allemands consultent plus souvent leur médecin, la durée des rendez-vous est en revanche plus courte qu’en France.
Trop de prescriptions et pas assez de suivi ?
Ces pratiques différentes jouent aussi sur le taux de prescriptions des médicaments. Dans l’Hexagone, il est nettement supérieur pour ce qui est des anxiolytiques, des hypnotiques et sédatifs, des hormones sexuelles et, dans une moindre mesure, des antibiotiques. Des chiffres qui « questionnent la pertinence de certaines prescriptions en France », considère l’Irdes.
Le rapport s’intéresse enfin à l’évaluation de la qualité des soins. Encore balbutiante en France, la pratique est très répandue en Allemagne, notamment grâce aux associations de médecins qui assurent la formation continue et l’évaluation de la montée en compétences des praticiens. Celles-ci peuvent même sanctionner ceux qui ne respectent pas leurs obligations. En France, c’est seulement depuis janvier 2023 que les médecins (entre autres) sont soumis « à une obligation de certification périodique à justifier tous les six mois ».
« Si ce modèle allemand d’organisation des soins de ville permet une bonne efficience productive, le système de budget ambulatoire apparaît assez conservateur et peu incitatif à l’efficience allocative, les budgets reflétant les coûts et les volumes de soins d’une année sur l’autre », concluent les auteures du rapport.
© C i E M / Mathieu Yerle