Cancer de la prostate : une nouvelle ère
Avec un décès par cancer de la prostate toutes les heures en France, infléchir la mortalité liée à ce type de cancer est une priorité. À cette fin, la seule option consiste à dépister les hommes avant la survenue de symptômes urinaires, témoins d’un stade avancé de la maladie. Aujourd’hui, un dépistage plus personnalisé se dessine grâce aux innovations technologiques…
Chaque mois de novembre, l’événement caritatif international Movember sensibilise les hommes à leur santé, et notamment à l’adénocarcinome de prostate. Car cette petite glande de 20 g, pas plus grosse qu’une châtaigne, essentielle à la fertilité masculine, peut causer bien des soucis auxquels peu d’hommes échappent… Sauf en la surveillant de près. Si la moyenne d’âge au diagnostic est de 65-67 ans, les hommes âgés ne sont pas les seuls concernés : « le cancer de la prostate peut survenir en effet dès 50 ans et même 45 ans en cas de facteurs de risque (afro-américains, origines africaines, mutation génétique BRCA2) », indique le Pr Georges Fournier, chirurgien urologue (Brest) et président de l’Association française d’urologie (AFU).
Un cancer qui se développe en silence
Cancers dont le pronostic s’est considérablement amélioré depuis les années 1990, les adénocarcinomes de la prostate diagnostiqués précocement représentent 80 % des nouveaux cancers. Dans 70 % des cas, il n’y a pas de risque d’évolution vital dans les 15 ans à venir, même sans traitement. Dans 30 % des cas, du fait de signes d’agressivité, un traitement permet d’interrompre l’évolution vers les métastases (lorsque les cellules cancéreuses diffusent dans l’organisme). Enfin, moins de 1 % des cas sont des cancers à évolution rapide, retrouvés chez des hommes ayant une prédisposition héréditaire. « Contrairement à une croyance, un cancer de la prostate débutant ne donnera jamais de symptômes, met en garde le Pr Fournier. Les problèmes urinaires sont en majorité dus à une hypertrophie bénigne de prostate, une maladie très courante mais non cancéreuse ». En revanche, les cancers de la prostate avancés génèrent des symptômes, par exemple des difficultés pour uriner, un jet d’urine faible, un besoin d’une poussée abdominale pour uriner voire un blocage complet empêchant la vessie de se vider.
Cancer de la prostate, dépister ou s’abstenir ?
Le dépistage du cancer de la prostate fait toujours débat malgré l’avènement de l’IRM (imagerie par résonance magnétique) dite multiparamétrique (IRMmp), une technologie largement utilisée depuis quelques années à peine. Ce type d’imagerie est en mesure de discriminer les cancers agressifs, tout en laissant de côté les formes indolentes ou peu agressives et dont certaines seront juste placées sous surveillance rapprochée. « Du fait des nouvelles technologies, le fait de dépister est en mesure de réduire la mortalité, par une action précoce, résume le Pr Fournier, tout en limitant en théorie le risque de surdiagnostic et de surtraitement. » Le choix de se faire dépister revient donc à chaque homme. Car il n’est pas question aujourd’hui pour les autorités de santé françaises d’organiser un dépistage généralisé du cancer de la prostate à l’instar de ce qui est en vigueur dans les cancers du côlon et du sein. Pour l’Institut national du cancer, le sujet reste même officiellement du domaine de la recherche. En 2016, la Haute autorité de santé (HAS) a consenti à un dépistage « opportuniste » (au cas par cas), en laissant le choix au médecin et surtout aux hommes de décider par eux-mêmes d’un dosage de l’antigène spécifique de la prostate (PSA) à partir de 50 ans. « Le Collège de la médecine générale insiste sur la prise de décision partagée entre le médecin et le patient pour les hommes âgés de 55 à 69 ans sur l’intérêt de pratiquer un dépistage », ajoute le Dr Bernard Clary, médecin généraliste et membre du conseil scientifique. Un statu quo que rejette la société savante d’urologie via son comité de cancérologie (CCAFU), soulignant que l’absence d’alternative au dépistage de la part des pouvoirs publics pour infléchir le nombre des décès par cancer de la prostate est intolérable, alors même qu’un cancer découvert tardivement est bien plus difficile à guérir.
En pratique
Si le dosage du PSA reste d’actualité, le parcours de dépistage du patient a évolué en 2022 : « on est sorti d’un algorithme pourvoyeur de biopsies (prélèvements de cellules de prostate en vue de déterminer les caractéristiques de la tumeur) trop nombreuses et de traitements inutiles », rassure le Pr Fournier. Selon le CCAFU, un dosage de PSA peut être proposé chez les hommes à partir de l’âge de 50 ans (45 ans en cas d’origine africaine et d’antécédents familiaux ; 40 ans en cas de mutation BRCA2). Un taux de PSA > 3 ng/ml et/ou un toucher rectal suspect imposent la réalisation d’une IRMmp. Si celle-ci est anormale ou s’il existe des facteurs de risque, une biopsie de la glande est réalisée et le diagnostic final posé en fonction du résultat de l’examen au microscope.
À l’étude, les scores polygéniques (incluant plusieurs gènes) pourraient personnaliser davantage le dépistage : en plus des mutations constitutionnelles du cancer de la prostate héréditaire, des variants génétiques viennent d’être identifiés, utiles au calcul d’un risque relatif individuel de cancer de prostate agressif.
© C i E M / Hélène Joubert
« Une bombe à retardement »
Le Pr Georges Fournier* explique : « Ce cancer est une bombe à retardement que l’on peut désamorcer à temps. C’est un argument pour dépister un éventuel cancer débutant, en faisant doser son taux de PSA, idéalement complété par un toucher rectal. La crainte des effets secondaires, principalement urinaires et sexuels, est justifiée. En effet, aujourd’hui aucun traitement du cancer de la prostate n’en est dénué. Cependant, à 60 ans, et lorsque la chirurgie de la tumeur permet de préserver les nerfs de l’érection, les deux tiers des hommes conserveront une vie sexuelle globalement satisfaisante, dont une partie à l’aide de médicaments de l’érection. À l’inverse, plus on découvre la tumeur tardivement, plus on devra réaliser des chirurgies élargies et/ou des rayons associés à un traitement hormonal. Privé de testostérone, la baisse de libido est alors systématique. »
*Dans la tourmente de la prostate, Pr Georges Fournier et Pr Olivier Cussenot, Éditions Favre, 2022.
De nouvelles perspectives de traitement
Au-delà de la chirurgie, de la radiothérapie, des traitements hormonaux et de la chimiothérapie, de nouvelles pistes thérapeutiques se concrétisent, en particulier celle de la radiothérapie interne vectorisée : injecté dans le sang, un marqueur est lié à un vecteur de radiothérapie (le lutétium) qui se fixe sur les cellules cancéreuses afin de localiser la tumeur et ses métastases et de les détruire.