Gilles Lazimi : « La pandémie et les confinements ont accentué les violences faites aux femmes »
Médecin généraliste à Romainville (93), professeur associé à la faculté de médecine de Sorbonne Université, membre du conseil d’administration d’ONU Femmes France.
La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 et les confinements successifs ont engendré une augmentation des violences envers les femmes en France et partout dans le monde. Si des efforts ont été faits pour alerter le grand public et lutter contre ce fléau, le chemin vers une prise en charge complète de ces femmes reste encore long, estime Gilles Lazimi, médecin et militant.
En France, les signalements pour violences domestiques ont enregistré une hausse de 30 % pendant le premier confinement. Comment l’expliquez-vous ?
L’augmentation du nombre de signalements a en effet été notable dès le début du premier confinement. C’est d’ailleurs un phénomène qui a été aussi observé au niveau mondial. L’impact de l’épidémie de Covid-19 est net. La question est de savoir si cette hausse est liée à un surcroît de violences ou si ce sont des femmes déjà victimes de violences, qui n’en avaient pas pris conscience ou qui n’étaient pas encore prête à parler auparavant, qui ont alerté. La promiscuité générée par les confinements a aussi très certainement aggravé la situation. Le fait d’être enfermées toute la journée, sans avoir la possibilité de sortir de la maison, avec un mari qui se sert de la situation pour commettre des violences, est très difficile. Le télétravail a sans doute aussi constitué un prétexte pour isoler encore plus les victimes. Et à cette présence permanente du conjoint s’ajoute la violence économique liée à l’épidémie. Certains foyers ont fait face à des difficultés financières qui ont pu servir de « pseudo-justifications » à l’usage de la violence psychologique, notamment.
Des mesures ont récemment été prises : déploiement des bracelets anti‑rapprochement, dispositif d’alerte dans les pharmacies et les centres commerciaux, communication autour du numéro d’aide 3919… Selon vous, y a-t-il eu une véritable prise de conscience ces derniers mois ?
Toutes ces mesures qui permettent de parler de la situation des femmes victimes de violences sont les bienvenues. La communication qui a été mise en place autour du numéro d’aide aux victimes, le 3919, géré par la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), ou le 114 qui permet de prévenir les secours par SMS, a attiré l’attention du grand public sur cette question. Cette prise de conscience s’est aussi accompagnée d’une baisse de la tolérance de la population vis-à-vis des violences. Nous l’avons vu, les voisins ont été plus nombreux à signaler des situations de maltraitance de femmes mais aussi d’enfants. À titre d’exemple, le 3919 a enregistré deux fois plus d’appels en 2020 qu’en 2019. C’est un premier pas qui a été franchi dans la lutte contre les violences faites aux femmes, mais le chemin est encore long. Il faut aller plus loin car, paradoxalement, si le nombre de signalements a augmenté, le nombre de plaintes déposées au commissariat a lui diminué. Les femmes doivent être mieux accueillies lors du dépôt de plainte – même si des efforts ont déjà été faits – et il faut leur proposer une prise en charge complète et les accompagner dès qu’elles quittent leur domicile et tout au long du processus.
Quel est l’impact de ces violences sur la santé des femmes ?
La crise sanitaire a un impact délétère sur la santé psychique de l’ensemble de la population, alors, chez les victimes de violences, cet effet est démultiplié. Les femmes se sentent impuissantes et certaines sont dans un état de stress post-traumatique. La situation actuelle aggrave de plus les symptômes des pathologies somatiques et psychiques. Il faut savoir que les femmes victimes de violences ont deux fois plus de risques de prendre des antidépresseurs ou des anxiolytiques que les autres femmes, cinq fois plus de risques d’avoir des pathologies psychiatriques mais aussi un risque plus élevé de développer une addiction. Elles ont également huit fois plus de risques de faire des fausses couches et souffrent plus fréquemment de dépression post-partum. Certaines présentent plus de pathologies chroniques dont les examens ne permettent pas de déterminer l’origine, comme une fibromyalgie [affection chronique caractérisée par des douleurs diffuses persistantes, NDLR], un syndrome de l’intestin irritable ou des maux de tête récurrents. En moyenne, ces femmes perdent une à quatre années de vie en bonne santé à cause des violences qu’elles subissent.
Quel est alors le rôle du médecin ?
Face à ces situations, le médecin doit mettre des mots sur les souffrances et accompagner les femmes. Quand on ne comprend pas le tableau clinique d’une patiente, il ne faut pas hésiter à poser des questions : est-ce que vous avez été victime de violences, est-ce que vous avez subi des propos humiliants, est-ce que vous choisissez d’avoir ou de ne pas avoir de rapports sexuels, etc. Il faut laisser le temps à la patiente d’y réfléchir, de parler si elle le souhaite, tout en respectant ses silences et sans jamais entreprendre d’agir sans son assentiment. La stratégie de l’agresseur est toujours la même : tout commence par une belle histoire d’amour, puis l’homme isole sa partenaire et établit petit à petit son emprise en alternant des phases de violences (propos humiliants, blessants, puis violences physiques voire sexuelles) et des moments agréables. Les victimes se trouvent alors dans une forme d’anesthésie émotionnelle qui les empêche d’agir. En tant que médecin généraliste, je vois régulièrement mes patientes, et au fil des consultations une relation de confiance se noue. Elles ne sont plus seules. Je peux alors ouvrir la discussion, les déculpabiliser, leur rappeler qu’elles ne sont en rien responsables de ce qu’elles subissent et que la loi interdit les violences. Je peux alors les accompagner et les orienter vers une association, un psychologue.
Que peut-on faire en tant que citoyen ?
La première chose à faire quand on est témoin de violences, que l’on entend des cris dans l’appartement voisin, c’est d’appeler police secours (le 17 ou le 112). On peut aussi émettre un signalement en ligne*. Enfin, il faut également témoigner de l’empathie aux victimes. Quand on soupçonne que des violences sont commises, on peut aller voir sa voisine, lui proposer son soutien et lui rappeler que la loi la protège et qu’on peut l’aider. Mais les citoyens ne peuvent pas tout. C’est à l’État d’assumer son rôle dans la protection des femmes, dans l’application de la loi et dans la formation des différents professionnels.
© C I E M / Propos recueillis par Léa Vandeputte
*Sur Service-public.fr/cmi.
Violences en chiffres
- Une femme décède tous les deux jours en moyenne, victime de son conjoint ou de son ex-conjoint.
- 126 000 femmes ont été victimes de violences en 2019.
- Plus de 80 % des cas de violences se déroulent à l’intérieur du domicile du couple, de la victime ou de l’agresseur.
Source : ministère de l’Intérieur.