Jean-Christophe Seznec : « L’adolescence, c’est un chantier pour les enfants… et pour les parents »
Jean-Christophe Seznec est psychiatre, conférencier et consultant en entreprise. Il enseigne la pleine conscience à l’université de Metz.
Entre bouleversements physiques, quête d’identité ou encore rites initiatiques, l’adolescence est une période de grands chamboulements. Dans Lettres d’un père à son ado, Jean-Christophe Seznec mêle confidences personnelles et outils pratiques pour aider les familles à traverser cette étape sensible. Rencontre avec un professionnel qui plaide pour une éducation alliant écoute, dialogue, humour… et beaucoup d’amour.
Votre livre prend une forme originale, alliant des lettres adressées à votre fille, des conseils ludiques, des interludes narratifs, etc. Comment est née cette idée ?
Tout est parti d’un besoin de transmission. Dans notre famille recomposée, j’ai offert à chaque quinzième anniversaire des cinq enfants un livret personnel, une sorte de carnet de bord avec des textes personnalisés. En parallèle, un jour, j’ai publié sur mon blog — Le blog à palabres — une lettre d’un père à sa fille, qui a reçu un bel accueil. J’ai alors eu l’idée d’écrire un livre sur l’adolescence et de commencer chaque chapitre en adressant une lettre à ma dernière fille. C’était aussi une façon d’apporter de l’humanité à cet ouvrage, et d’associer mon regard de père à celui de psychiatre. Progressivement, j’ai étoffé cette trame avec des conseils, des interludes plus pratiques, etc. J’ai voulu proposer un objet littéraire original, sincère et ludique.
Comment décririez-vous l’adolescence et pourquoi peut-elle être difficile à vivre ?
L’adolescence est une période de transformations intenses, à la fois physiques, psychiques et sociales, durant laquelle le jeune se pose plein de questions. Elle peut commencer dès l’âge de 10 ans et s’étirer jusqu’à 25 ans, même si les moments les plus difficiles ont lieu généralement au collège, en 4e et en 3e. On a l’habitude de parler de crise, mais je préfère le mot « chantier », car c’est une phase de construction. Il y aura autant de chantiers qu’il y a de personnes.
Pour certains, la période se passe en douceur, pour d’autres, c’est un peu plus difficile. Cela va dépendre de beaucoup de facteurs, des enfants eux-mêmes, mais aussi de leurs parents, de la famille, et des aspects sociologiques. Les problématiques d’aujourd’hui ne sont en effet plus les mêmes qu’autrefois.
Quels conseils souhaitez-vous livrer aux parents ?
Je leur dirai surtout de maintenir un lien d’amour inconditionnel, même dans les conflits. L’adolescence, c’est comme une mer agitée où le parent est le phare. Il prend la tempête, mais reste debout et guide. Les adolescents vont tester leurs parents, cherchant à savoir si on les aime « malgré tout ». Ils ont besoin de ce combat pour exister. Aux parents de leur prouver que cet amour est là, toujours. Cela n’empêche pas de se mettre en colère, en restant bienveillant. J’aime cette formule, dite un jour à ma fille : « T’as de la chance, parce que je t’aime .» Tout est dit.
Comment faciliter le dialogue avec son adolescent ?
Il convient d’apprendre à dialoguer autrement, en allant par exemple sur le terrain de son ado : écouter sa musique, jouer à ses jeux, s’intéresser sincèrement à ce qu’il vit. Les parents peuvent aussi le questionner sur ses ressentis. Je conseille aux parents de sortir de la logique du résultat qui génère beaucoup d’anxiété pour se concentrer sur l’apprentissage. Un mauvais bulletin ? C’est l’occasion de réfléchir ensemble à ce qui a fonctionné ou pas et de changer.
Je pense aussi qu’en tant que parent, il faut choisir ses batailles : si vous cherchez à tout contrôler, c’est la guerre sur tous les sujets. Alors peut-être que le bazar dans la chambre n’est pas si grave. En revanche, le respect des valeurs familiales, comme la gentillesse, le travail ou la politesse, ça c’est essentiel. Et puis, il y a des moments où il faut savoir déléguer. À l’adolescence, les jeunes vont avoir besoin d’un « contenant » pour les aider à se transformer. Les parents doivent jouer ce rôle, mais d’autres figures peuvent aussi le faire : un entraîneur, un prof, un psy, etc.
Le but, c’est que l’ado trouve des appuis dans son monde. Enfin, ne pas oublier l’humour. Ça permet de dire des choses autrement, sans se moquer bien sûr. C’est une ressource formidable qui peut désamorcer certaines situations.
Comment les parents peuvent-ils préparer cette période ?
Grâce à l’éducation. Dès l’enfance, les parents plantent des graines qui porteront leurs fruits, même si ce n’est pas évident tout de suite. Il y a aussi les activités extrascolaires (club sportif, activité artistique, etc.), un formidable terrain de sociabilisation pour l’enfant. Ces espaces tiers constituent un premier pas vers la liberté, mais encadrée. Ils permettent à l’ado d’expérimenter des choses sans se mettre en danger.
Vous évoquez aussi les rites initiatiques : soirées, réseaux sociaux… Comment les parents peuvent-ils encadrer ces expériences ?
Il faut accepter l’idée qu’il y aura des prises de risque. Mais on peut baliser le terrain en établissant des règles claires et répétées à chaque fois. Ce cadre sécurise, même s’il est contesté, car il aide à se contenir, à se canaliser. Et puis, il faut aussi accepter que son ado ne nous aime pas sur le moment. C’est sain, même si ça fait mal : c’est la fameuse main de fer dans un gant de velours.
Vous vous appuyez, dans votre livre, sur la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT). En quoi cette approche est-elle utile face aux tempêtes adolescentes ?
L’ACT, c’est une forme de thérapie comportementale dite de troisième vague. Elle s’inspire de la pleine conscience, avec une idée centrale : apprendre à accueillir ce qui se passe en nous, sans le juger, en choisissant les actions qui comptent vraiment. C’est un outil précieux pour les adolescents, souvent débordés par leurs émotions.
Les parents d’aujourd’hui sont-ils soumis à plus de stress ?
Les réseaux sociaux, la peur du harcèlement… cela donne envie de tout contrôler. Mais on oublie que les adolescents se construisent aussi dans l’épreuve. Trop de bienveillance peut parfois devenir un piège si elle empêche l’ado de se confronter à la réalité. Il faut leur apprendre à encaisser.
Quels signes doivent alerter les parents et les amener à consulter ?
Quand un adolescent s’isole durablement, quand l’humeur se dégrade dans le temps, quand des consommations de substances apparaissent… il faut réagir. Et si l’ado refuse de voir un psy, dites-lui : « Je suis inquiet, j’ai besoin que tu consultes, pour me rassurer. Essaye trois séances, et tu décideras après. » On peut aussi passer par une guidance parentale. Il ne faut pas rester seul.
Constatez-vous que les ados consultent plus facilement désormais ?
Oui, et c’est une bonne chose. La parole sur la santé mentale s’est libérée. Il y a eu des figures publiques, comme la gymnaste artistique américaine Simone Biles, qui ont joué un rôle essentiel. Et la psychothérapie elle-même a évolué : on n’est plus obligé de passer dix ans sur un divan pour aller mieux. L’offre de soins est plus diversifiée, plus rapide, plus pragmatique. Ça aide aussi à dédramatiser.
Enfin, en tant que père, parvenez-vous à appliquer les conseils que vous livrez ?
(Rires.) Disons que je fais de mon mieux. Je suis le phare, mais je prends aussi la tempête. Ce livre, c’est aussi un aveu de modestie. L’adolescence, c’est un chantier pour les enfants… et pour les parents. Il faut apprendre à être flexible, à se remettre en question. Et puis garder de l’humour, toujours. Même dans les tempêtes.
Propos recueillis par Constance Périn