Le cannabis thérapeutique en questions
Le 11 juillet 2019, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) donnait son feu vert au lancement d’une expérimentation de l’usage médical du chanvre. À l’instar de plus de quarante pays, la France finira-t-elle, elle aussi, par autoriser le recours à cette plante ? Considéré avant tout comme une drogue, le cannabis ne laisse personne indifférent, et son utilisation, même à des fins thérapeutiques, soulève encore de nombreuses questions.
Certains Français consomment du cannabis, non pas dans un but purement récréatif, mais bien pour soulager leurs maux. Or cette pratique est totalement interdite en France. Surtout connu pour ses effets psychotropes, le cannabis recèle pourtant des vertus médicinales qui intéressent la recherche et la pharmacie. À partir de janvier 2021, au plus tard, la France en testera d’ailleurs l’usage dans un but médical et selon des règles strictes. En octobre 2019, l’Assemblée nationale avait en effet donné son feu vert à un amendement défendu à l’époque par un certain Olivier Véran… aujourd’hui ministre des et de la Santé. Bien que le décret se fasse toujours attendre en raison de la pandémie, l’expérimentation aura bien lieu. Elle concernera 3 000 patients.
Quel est l’objectif de l’expérimentation ?
Elle permettra de tester, en conditions réelles et pendant deux ans, la mise en place d’une nouvelle politique publique. La vaccination contre la grippe par les pharmaciens, par exemple, avait fait l’objet d’une expérimentation pendant deux ans dans certaines régions avant que les pouvoirs publics l’autorisent sur tout le territoire national. Celle sur le cannabis à usage médical n’a pas vocation à démontrer ou non l’efficacité de la plante dans le traitement de maladies ou de symptômes. Elle doit évaluer la faisabilité du projet dans son ensemble, autrement dit la prescription par les médecins, la délivrance par les pharmaciens, l’approvisionnement, le suivi des patients, etc. Bien entendu, les données récoltées permettront quand même de mesurer l’efficacité, mais aussi la sécurité, de l’utilisation du cannabis dans un cadre médical.
Qui sont les patients concernés ?
Les personnes en soins palliatifs, celles souffrant notamment de certaines formes d’épilepsies, d’effets secondaires de chimiothérapie, de douleurs neuropathiques (douleurs associées à des atteintes du système nerveux central et périphérique, comme une lésion de la moelle épinière du nerf sciatique…) ou encore de spasticité douloureuse (contraction musculaire réflexe très forte) de la sclérose en plaques pourront par exemple être éligibles à cette expérimentation. Le traitement par le cannabis à usage médical ne sera toutefois autorisé qu’en « dernière ligne », c’est-à-dire uniquement en cas d’échec des autres traitements existants.
Comment va se dérouler l’expérimentation ?
Elle sera menée par des centres de référence hospitaliers spécialisés dans les indications retenues. Pour y participer, les patients devront en parler au médecin qui les suit afin qu’il prenne contact avec un centre de référence.
Quels sont les principes actifs du cannabis et sous quelle forme sera-t-il délivré ?
Les fleurs du cannabis renferment deux molécules qui intéressent les médecins : le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD). Le THC est la substance psychoactive qui procure « l’effet planant ». Mais il possède également des vertus anti-inflammatoires, antalgiques (antidouleur), antiépileptiques, antiémétiques (antinausées) et peut agir comme décontractant musculaire. Le CBD, lui, est intéressant pour ses effets sédatifs et relaxants. Quant à son apport thérapeutique, il n’est pour l’instant pas démontré. Il est actuellement possible de se procurer du CBD en toute légalité sur internet car cette molécule est autorisée à la vente en France à faible concentration (par exemple dans les liquides des e-cigarettes). « Les produits, et notamment les e-liquides à base de CBD, sont interdits s’ils contiennent du THC, quel que soit le taux, et s’ils ne sont pas obtenus à partir de variétés et de parties de plantes autorisées », rappelle la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). « La composition des médicaments à base de cannabis à usage médical sera définie par leurs teneurs en THC et CBD », indique l’ANSM, qui précise que les médicaments administrés « se présenteront sous la forme de fleurs séchées de cannabis pour inhalation par vaporisation et de formes orales et sublinguales à base d’extraits de cannabis solubilisés dans de l’huile ».
Quelles sont les précautions à prendre ?
Le principal actif du cannabis, le THC, est un stupéfiant qui peut entraîner une accoutumance. L’usage du cannabis médical peut aussi provoquer une somnolence. C’est la raison pour laquelle la conduite automobile est fortement déconseillée aux participants de l’expérimentation. « Par ailleurs, le cannabis à usage médical sera contre-indiqué par précaution chez la femme enceinte et allaitante. La mise en place d’une contraception efficace pour les femmes en âge de procréer sera demandée par le prescripteur lors de la première consultation », souligne l’ANSM.
Quels pays d’Europe autorisent l’usage médical du cannabis ?
À ce jour, dix-sept pays de l’Union européenne, tels que l’Allemagne ou l’Italie, autorisent le cannabis médical sous différentes formes.
Peut-on cultiver du cannabis en France à des fins médicales ?
L’ANSM est formelle : c’est non. Même durant l’expérimentation du cannabis à usage médical, sa culture est strictement interdite et passible d’une forte amende, voire d’une peine de prison.
© C I E M / Isabelle Coston
Un marché très convoité
Des sociétés européennes commercialisent déjà des produits médicinaux dérivés du cannabis : ce que l’on appelle le cannabis thérapeutique. Le secteur est en vogue aux États-Unis et surtout au Canada, où il a profité de la légalisation progressive de la culture du chanvre. En France, il faudra certainement attendre la fin de l’expérimentation (2024) et la décision des pouvoirs publics pour que des entreprises hexagonales puissent profiter de ce marché émergent. Les cultivateurs français sont dans les starting-blocks. Ils attendent le feu vert des autorités pour se lancer à leur tour dans la ruée vers l’or vert. Cette nouvelle filière pourrait en effet représenter une manne financière inespérée, pouvant dépasser le milliard d’euros par an.